LittératureDans la peau de
Crédit photo : Richmond Lam
Raymond, tu es retraité de l’enseignement en littérature du Cégep Édouard-Montpetit et tu es surtout connu du grand public comme romancier. Mais à la base, tu n’avais pas réellement l’intention de te lancer dans l’écriture de romans, n’est-ce pas? Qu’est-ce qui t’a motivé à te lancer malgré tout?
«J’ai eu la chance d’évoluer dans un milieu de travail dynamique au sein duquel l’écriture était valorisée. Les poètes Claude Beausoleil et Jean-Paul Daoust, collègues et amis, m’ont stimulé dans cette voie. Sans compter le contact auprès d’élèves passionnés de littérature et curieux de tout connaître.»
«Le fait de préparer des cours et de questionner la manière dont les récits étaient construits, sans oublier d’aborder leur musicalité, m’ont influencé vers ce choix. Lire Gabrielle Roy, Anne Hébert, Michel-Marc Bouchard ou Michel Tremblay, pour prendre des exemples tirés du corpus québécois, c’est non seulement entrer dans un univers particulier, mais c’est aussi être en contact avec des manières variées d’utiliser la langue et de composer une musique singulière.»
«Les longues phrases libérées de la tyrannie des virgules chez Marie-Claire Blais demeurent un exemple frappant. C’est donc essentiellement le goût de la lecture, le plaisir de s’y plonger, qui m’ont poussé vers la création.»
En date d’aujourd’hui, tu as fait paraître quatre romans de fiction – dont deux romans policiers – aux Éditions Druide. En 2014, tes lecteurs ont découvert ton penchant pour la fiction avec Léa devant la mer, une œuvre «divisée à la façon d’un diptyque où les traversées de l’Atlantique par chacun des deux frères forment des repères temporels majeurs qui gravitent autour du personnage-phare de Léa.» D’où t’est venue l’inspiration pour cette histoire? On aimerait aussi que tu nous parles de la thématique qui est au cœur de cette fiction!
«Le roman est en effet divisé à la manière d’un diptyque comme ces tableaux du Moyen-Âge et de la Renaissance. Ils étaient formés de deux volets développant un thème et pouvant être fermés au moyen de charnières qui les reliaient. Le sujet de ce récit prend sa source dans un événement tragique, le décès accidentel de ma mère.»
«Perdre un être cher sans le préavis d’une maladie laisse l’entourage en état de choc. Une citation de Michel Tremblay, «La vie a un sens. La vie a un sens. Ma mère rit!», que j’ai reproduite dans le roman, donne le ton à l’ensemble. La disparition de Léa bouleverse ses proches qui sont déstabilisés, en perte d’un repère essentiel.»
«Léa est de plus associée au plaisir du conte dont elle faisait régulièrement la lecture aux siens. Le jeu de la tradition orale associe les deux parties composant ce récit. Suzanne, enfermée dans son monde intérieur, reçoit, en institution, la visite de ses proches qui viennent lui faire la lecture à haute voix, ce qui provoque chez la patiente des réactions limitées, les premiers temps, à l’apparition de l’ébauche d’un sourire.»
«Léa et Suzanne forment les figures centrales des panneaux de ce diptyque qui peuvent se refermer l’un sur l’autre et marquent, pour chacune, un regard posé sur la mer à perte de vue.»
Plus récemment, tu as fait paraître Sortir du labyrinthe, toujours aux Éditions Druide, un roman qui fait suite à Léa devant la mer, ou plus exactement, c’est une histoire t’a permis d’approfondir l’histoire personnelle d’un de ses personnages, celui de Suzanne, la conjointe de François. Pourquoi avoir décidé de faire renaître ces personnages, sept ans plus tard, et surtout de placer celui de Suzanne au cœur de cette histoire? Il y a sûrement eu un élément déclencheur?
«Le film Sarabande d’Ingmar Bergman présente, en scène finale, une mère jouée par Liv Ullmann qui rend visite à sa fille internée. Elle se heurte au mutisme de cette dernière, dont les communications avec le monde extérieur sont rompues.»
«À l’inverse, Suzanne sortira de son labyrinthe intérieur se dégageant, grâce à l’appui des siens, d’un désarroi qui la bloquait en la réduisant au silence. Il s’agit essentiellement d’une marche vers la lumière, d’une résurrection, en somme, à la suite de nombreuses années de stagnation qui l’avaient réduite à une simple vie végétative. Les premières pages du roman s’ouvrent sur son retour à la maison, Suzanne s’apprêtant à soutenir le regard unique de ses proches.»
Ainsi, Suzanne a passé 12 ans dans un établissement psychiatrique, et à sa sortie, elle vivra une véritable quête identitaire, qui la forcera à se replonger dans de douloureux souvenirs d’enfance qu’elle croyait à jamais envolés, mais aussi à faire le point sur sa propre personne. Qu’as-tu souhaité explorer à travers ce personnage à la fois sensible, complexe et… troublé?
«Suzanne questionne les sources de son aliénation, liées à une enfance terne sinon volée. Les seules règles demeuraient l’obéissance et la soumission à des valeurs conservatrices, imposant un corset de vie marqué par le regard des autres. L’expérience inespérée d’un amour partagé la sortira de ces ornières qui ont toutefois laissé des traces. Ne pas faire de vagues, se fondre dans la masse grise des gens sans histoires, bref, ces règles de vie imposées à coup de discipline ne la préparent pas à devenir l’épouse d’un chef de bureau, à jouer un rôle protocolaire ou à assister à des soirées mondaines.»
«Développer ce personnage implique d’explorer l’extrême sensibilité d’un être vulnérable, doué d’une intelligence intuitive qui la rend capable de saisir les choses au-delà de la raison portée par une imagination qui éclaire des zones d’ombre pouvant s’avérer déstabilisantes.»
Notre petit doigt nous dit que tu as déjà commencé l’écriture d’un prochain roman! Parle-nous un peu de l’idée que tu as en tête, ou du moins, donne-nous un petit avant-goût de ce qui nous attend dans un futur proche! Et si on a tort, alors dis-nous simplement ce qui t’occupera au cours des prochains mois!
«Je suis effectivement en processus de création qui met en scène un enfant de quatre ans qui interagit avec ses parents et ses grands-parents tout en s’ouvrant au monde. Le petit Nathan n’a jamais connu son père et sa mère former un couple, puisque ces derniers n’ont jamais cohabité ensemble. Cette situation familiale n’est pas traumatisante pour lui, car il est habitué d’avoir deux demeures où son imaginaire est sollicité de manière différente.»
«Chez son père, les livres et les albums règnent en maître sous le regard d’un ourson en peluche nommé Léo. Chez sa mère s’offre un univers associé à un coffre à jouets et à un train électrique rangés sous le lit. Les adultes qui l’entourent seront eux-mêmes confrontés à des situations déstabilisantes qui remettent en question un bonheur paisible et calme. Le monde des grands-parents vacille lorsque se dévoile au grand jour l’infidélité du grand-père, alors que les parents de Nathan semblent se rapprocher et songent même à procréer à nouveau, ce qui risque de bousculer la sécurité du petit garçon unique dont l’anniversaire approche…»