LittératureDans la peau de
Crédit photo : Mathieu Rivard
Francis, tu es l’auteur de plusieurs recueils de poésie et de nouvelles, mais aussi d’un livre écrit en prose; et tu as déjà publié plusieurs traductions de livres également. On peut dire que tu as l’écriture dans le sang! D’où t’est venue cette passion, et comment l’as-tu entretenue au fil du temps?
«J’ai l’écriture dans le sang, et dans les os, dans l’âme aussi. Il est vrai que l’écriture, quand elle traverse mon système, devient claire, coulante, reluisante. En retour, moi, quand j’entre dans l’écriture, il se passe aussi des choses, beaucoup de choses. C’est une relation biunivoque.»
«J’habite l’écriture et l’écriture m’habite – depuis, je dirais, les premiers temps à l’école quand l’enseignante nous aidait à tracer des lettres dans un cahier. C’était plaisant de dessiner ainsi des mots à la mine de plomb puis, plus tard – beaucoup plus tard quand même –, de les taper à la machine.»
«On ne se rend pas compte de la magie qui opère dans le processus «écriture/lecture». Des lettres, des sons qui ne signifient rien individuellement mais qui, une fois unis à d’autres, mis en relation avec d’autres, donnent du sens. Mon vrai coup de cœur pour l’écriture remonte à l’adolescence. J’écrivais mes premiers poèmes pour une amoureuse. À ce moment, j’ai compris que l’on pouvait aborder le monde sous un angle totalement nouveau, qui n’est pas celui de nos perceptions directes. Grâce à cette posture communicative où l’introspection, le temps, l’amour des mots sont des atouts pour maintenir une relation intéressante entre deux personnes, je me suis dit que c’est ce que j’allais faire: écrire.»
Tu es né d’un père italien et d’une mère québécoise, et ce sont d’ailleurs des écrits d’auteur.trice.s italien.ne.s que tu as décidé de traduire en langue française. En quoi tes origines et la littérature méditerranéenne ont-elles influencé ton parcours et ton identité d’écrivain?
«Mon rapport à mes origines italiennes n’est pas physique, il est plutôt mental. Ce qui m’en a rapproché, l’élément déclencheur, fut une bourse d’études qui m’a mené deux ans à Rome, en 1986. Là, j’y ai rencontré l’amour de ma vie, qui est par la suite devenue ma conjointe. J’ai un amour inconditionnel pour l’Italie. C’est une terre d’art. Le temps y a laissé une trace indélébile. C’est très stimulant d’y retourner, pour moi, surtout pour y écrire. Ce pays est un réservoir sans fond.»
«J’aime traduire de l’italien vers le français des livres, des textes d’auteur.trice.s contemporain.e.s que je considère majeur.e.s. J’aime les faire découvrir dans ma langue, ici, au Québec. Pour ce faire, Antonella m’aide beaucoup. Nous travaillons toujours nos traductions ensemble. En ce sens, comme j’ai aussi eu l’occasion de l’exprimer ailleurs, je compare volontiers la langue de la traduction à une langue conjugale, ou à une langue nuptiale.»
«Ma rencontre avec l’Autre, l’autre «moi», pour tout dire avec le père symbolique, s’est réalisée davantage par le biais littéraire que par celui biologique. Ma curiosité, mon amour du Beau m’ont poussé à revenir sur cette terre où a grandi mon père, en Campanie, près de Naples. La traduction au sens large, pour reprendre une expression du poète Yves Bonnefoy, y a joué un grand rôle.»
Le 7 octobre prochain, ton recueil de nouvelles Qu’il fasse ce temps paraîtra aux Éditions Druide. Pourquoi avoir choisi le format des nouvelles et la thématique centrale du temps – dans toutes ses déclinaisons possibles?
«J’ai plutôt l’impression d’avoir été choisi par le genre «nouvelle» et non le contraire. J’étais face à un ensemble de textes, certains brefs, d’autres plus longs. Comment appeler ça? C’est comme un embryon dans le ventre de la mère. Il ne choisit pas son sexe. De la même manière, le format s’est imposé.»
«Dans ce projet, j’explore le temps dans toutes ses facettes. À la limite, je pourrais dire que chacun des sept récits de mon livre importe assez peu comparé à la thématique. Le récit, les histoires que je raconte, n’arrivent pas à la cheville du temps. Le Temps, qui est beaucoup plus grand, qui englobe tout, qui est – puisque l’on parlait d’écriture – un élément intrinsèque, essentiel, structurant de tout récit. C’est sur cette matière-là que je me penche dans Qu’il fasse ce temps. Bien entendu, tout en racontant des histoires.»
Entre autres, on y découvre un missionnaire tourmenté, un amateur d’art, ou encore un jeune homme marqué par l’éruption spectaculaire du mont Royal au détour de tes nouvelles. D’où sont nés les différents personnages qui peuplent ce recueil: en fait, à quel moment et dans quel contexte sont-ils apparus dans ton imaginaire?
«Puisque ce livre a un lien avec le temps, il m’a semblé primordial que du passage de l’une à l’autre des nouvelles, on ressente un choc, un heurt. Le martyre jésuite en question apparait dans la seconde nouvelle. L’histoire se déroule en 1644 sur un navire effectuant le va-et-vient entre le Nouveau et le Vieux monde. Tout au long de la traversée, le missionnaire se souvient des tortures qu’il a subies aux mains de ses ennemis. C’est une histoire un peu gore.»
«Dans la première nouvelle, intitulée La fin de la cassette (le lecteur), nous sommes à Montréal, à peu près aujourd’hui, dans un texte écrit à l’impératif présent. Nous passons donc d’un texte fortement ancré dans le présent à un autre qui plonge dans les passés simple et composé. Dans Errer comme dans un musée, la nouvelle suivante, écrite à l’infinitif, je mets en scène un amateur d’art en admiration devant un tableau du Greco. Là, le temps est suspendu, comme arrêté, mis sur pause. Et ainsi de suite, d’une nouvelle à l’autre jusqu’à la dernière.»
«En filigrane de chacun de ces textes, il y en a un autre, caché derrière, un hypotexte. Le missionnaire dont on a parlé, le Père Pier dans mon récit, est en réalité Francesco Giuseppe Bressani, un homme qui a vraiment existé et qui a laissé dans Les Relations des Jésuites un texte magnifique de son passage en Nouvelle-France. Dans la dernière nouvelle, une vieille légende se concrétise. En effet, dans ce récit dystopique qui se déroule en 2079, le mont Royal entre en éruption. Sous ce texte, quand on gratte un peu, on voit apparaître la fameuse lettre de Pline Lejeune adressée à l’historien Tacite, où il y est décrit par le menu détail l’éruption du Vésuve survenue en l’an 79. Chaque texte de mon recueil renferme son palimpseste. Et le passé passe à l’action.»
Si tout était possible – comme remonter le temps ou être téléporté à l’autre bout du monde –, quel.le auteur.trice aimerais-tu inviter pour un souper animé; et de quoi parleriez-vous ensemble?
«Tout est possible, grâce à l’imagination! Mon fantasme serait sans doute de prendre une bière – ou un verre d’absinthe, ce serait plus réaliste – avec Rimbaud. Encore faudrait-il qu’il accepte. Ou avec Verlaine, pourquoi pas. Bien sûr, Baudelaire! Tiens tiens! Tous des poètes maudits… Alors avec Dante. Devant un Montepulciano de bon cru, dans un estaminet en Toscane, j’essaierais de lui tirer les vers du nez, qu’il me parle un peu plus prosaïquement de Béatrice.»