ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : David Mendoza Hélaine
Une chose à noter avant d’aller plus loin: je dois dire que c’est l’entrée en salle la plus décontractée que j’ai vue de ma vie.
Le public a fait son entrée au Premier Acte environ quinze minutes avant le début du spectacle. Dominique Sacy était là pour animer la foule. Les spectateurs et spectatrices pouvaient aller se chercher un verre de bière au bar, servi par le metteur en scène de la pièce, Emile Beauchemin.
Pendant ce temps, on écoutait de la musique hip-hop. Il y avait une ambiance de fête dans la place. J’avais presque l’impression de vivre la «hiérarchill» de Jérôme 50 en direct!
Un préambule à l’histoire future de la République
Laissez-moi vous situer un peu. Nous sommes en 2036. Alaclair Ensemble est la tête d’affiche du spectacle de la Saint-Jean cette année-là. Lors du concert, le groupe québécois sème les graines de la révolution bas-canadienne à venir. De fait, le troisième référendum sur la souveraineté du Québec se déroule en 2038. Le camp du «J’suis down» (l’option du «Oui» donc) l’emporte à plus de 70%!
La République du Bas-Canada est née.
La pièce à laquelle j’ai assisté commence 37 ans plus tard, en 2075. La République se tient toujours debout. Cependant, les inégalités sociales sont toujours bel et bien présentes. D’un bord, une petite clique d’ultra-riches vit comme des pachas. De l’autre, une grande partie de la population travaille pour l’empire médiatique de Joey Money, campé par Marc-Antoine Marceau (L’éveil du printemps).
Ce dernier est rappeur de renom en lice pour devenir rien de moins que le prochain «mince en chef» (premier ministre) du Bas-Canada. Ses employés n’en peuvent plus de travailler pour lui, surtout depuis qu’il a refusé de créer des garderies pour ceux qui ont des enfants.
Parmi cette population se trouve un jeune tandem aux idéaux révolutionnaires: Annabelle, jouée par Myriam Lenfesty (Albane), et Zack, interprété par Samuel Bouchard (On sentait déjà la dynamite à l’âge de pierre). Ces deux-là, ils ne désirent qu’une chose: descendre le pouvoir de son piédestal. Zack incite donc Annabelle à défier Joey Money en rap battle.
Il va s’en dire: l’histoire est complètement éclatée! Et je dois admettre que cette œuvre lance la saison de Premier Acte en force.
Mais j’ai une seule mise en garde pour vous: certains mots se perdent dans l’adaptation de l’univers d’Alaclair Ensemble. Par exemple, la «cassonade» en République du Bas-Canada désigne la richesse du monde; les habitant∙e∙s de la République se nomment des «babouins, babouines». Or, n’ayez crainte, un lexique se trouve sur la page web du spectacle sur le site du théâtre!
J’invite donc les néophytes d’Alaclair Ensemble à aller examiner le glossaire pour ne pas trop se perdre durant la représentation.
Sur les «babouins, babouines» de la République
Tout au long du spectacle, la performance des acteurs et actrices est un élément qui fait la force du spectacle. En effet, Vincent Paquette, en Robert Nelson, est d’une troublante ressemblance. Mention spéciale à Carmen Ferlan également, surtout durant la scène où elle parle avec sa fille. Celle-ci sort du lot! À ce moment, elle se souvient de son passé de révolutionnaire et de ses désillusions avec une lucidité des plus désarmantes.
Durant le spectacle, les acteurs rappent leurs chansons. Ferlan est la seule à chanter de manière plus conventionnelle. La présence sur scène de cette femme âgée, qui a perdu la flamme de ses idéaux de jeunesse, rend sa prestation encore plus captivante.
Et alors, comment «sauver la beauté du monde»?
Ça me mène au point le plus important de la pièce: le sous-texte. En effet, malgré l’accomplissement de la souveraineté bas-canadienne, le système capitaliste et patriarcal existe toujours. Les riches traitent toujours la population de travailleurs∙euses «née pour un petit pain». Joey Money se déclare même comme le «bon père de famille des babouins, babouines».
Cela dit, la pièce n’arrive pas nécessairement avec une solution toute faite. Mais elle réussit à sortir une carte de sa manche, la poésie.
À ce propos, le récit de la pièce aboutit sur le rap battle d’Annabelle et de Joey Money, et lors de son dernier tour, Annabelle ne chante même plus. Elle récite des extraits de Gaston Miron, de Gérald Godin et d’autres poètes nationalistes du Québec. Ça ramène l’espoir en la possibilité de sortir du paradigme capitaliste.
Peut-être n’est-il pas trop tard pour retrouver le charme de la vie?
La pièce «La république hip-hop du Bas-Canada» en images
Par David Mendoza Hélaine
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