«Hosanna ou la Shéhérazade des pauvres» du metteur en scène Maxime Robin au Théâtre du Trident – Bible urbaine

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«Hosanna ou la Shéhérazade des pauvres» du metteur en scène Maxime Robin au Théâtre du Trident

«Hosanna ou la Shéhérazade des pauvres» du metteur en scène Maxime Robin au Théâtre du Trident

Un toast à la multiplicité de nos âmes

Publié le 27 septembre 2023 par Guy-Philippe Côté

Crédit photo : Stéphane Bourgeois

Dire que Michel Tremblay est l'un des dramaturges les plus déterminants du théâtre québécois (si ce n’est le plus important) est un euphémisme. C'est pour cette raison que ses grands classiques prennent vie, année après année, au grand écran et sur nos scènes à travers la province, que ce soit «Les Belles-sœurs», l'odyssée théâtrale «La traversée du siècle», ou encore «Hosanna ou la Shéhérazade des pauvres». Cette dernière, une idée originale du metteur en scène Maxime Robin, est présentée jusqu'au 7 octobre au Théâtre du Trident. Avec ce spectacle qui s'avère un montage savant des récits «Hosanna» et «La Shéhérazade des pauvres» de Tremblay, on nous propose de découvrir une œuvre qui traverse l’histoire des luttes LGBTQIA2+ au Québec, des années 1960 à aujourd’hui, vécue par des personnages plus grands que nature.

Cours de rattrapage 101 sur Hosanna

Certains d’entre vous n’ont peut-être jamais lu Hosanna, et c’est bien correct, car ce n’est pas un prérequis! Ce spectacle nous offre un accès à l’univers de Claude, un homme qui travaille de jour comme coiffeur et comme travesti de soir, où il adopte les traits d’Hosanna. Celle-ci aime par-dessus tout se déguiser en Cléopâtre, et il faut dire qu’elle vénère particulièrement celle qui est jouée par Elizabeth Taylor dans le film homonyme sorti en 1963!

À un moment de l’histoire, l’une de ses comparses travesties, Sandra, décide d’organiser une grande fête. Tous les invités doivent se costumer en différentes «Femmes de l’histoire» pour ces réjouissances. Évidemment, tous les camarades d’Hosanna savent d’emblée qu’elle s’y pointera dans la peau de Cléopâtre. Or, Sandra utilise cette occasion pour bafouer Hosanna devant tous ses amis en fomentant en catimini un plan maléfique: tous les convives viendront dans de plus beaux habits que celui d’Hosanna.

Sandra provoque ainsi la chute sociale d’Hosanna, qui sera vertigineuse.

À travers ce récit, on retrouve également des bribes de La Shéhérazade des pauvres. On y suit Claude, toujours dans ses habits d’Hosanna, mais en version 2023 cette fois, au moment où il se fait interviewer par un jeune journaliste de la revue Fugues, référence de choix sur les actualités de la communauté LGBTQIA2+ au Québec.

Vous devez savoir que depuis son effondrement public, Claude est maintenant retraité. Mais sa mémoire et ses regrets le grugent sans arrêt de l’intérieur. Ce n’est pas pour rien qu’il n’a plus jamais remis le costume d’Hosanna depuis l’événement qu’on connaît trop bien…

Photo: Stéphane Bourgeois

Sur le gestus genré des acteurices

Avant même de parler de la représentation, je tiens à souligner le travail des acteurs au niveau de leur jeu, notamment sur la performativité de genre des actions des comédiens. Dans le programme du spectacle, Maxime Robin cite le livre Trouble dans le genre de Judith Butler, où l’autrice dit, entre autres choses, que cet essai a influencé son spectacle de manière directe.

En effet, Butler développe, dans son ouvrage, la notion de la performativité du genre. Ce concept place un constat fort simple: ce n’est pas parce que tu es né avec un sexe masculin, par exemple, et que tu ne voudras jamais, ta vie durant, porter de robes. Selon Judith Butler, les performances de travesti comme celles présentées par Hosanna et sa bande, renversent ces codes sociaux.

Et là où ça devient intéressant, c’est que le personnage de Claude est divisé entre trois acteurs qui ont chacun un rapport des plus particuliers avec la performativité de genre de leur être.

Hosanna à la puissance trois

Dans Hosanna ou la Shéhérazade des pauvres, Claude est divisé entre trois acteurices. Josef Asselin et Philomène Robitaille jouent en alternance Claude l’enfant. Vincent Roy (Foreman, Made in Beautiful) interprète le Claude de la pièce Hosanna. Luc Provost (Mado Lamothe) campe le rôle de Claude de La Shéhérazade des pauvres. Chacun.e développe son gestus pour se placer par rapport à la société dans laquelle il ou elle évolue.

Claude l’enfant, pour sa part, n’a pas de problème à se montrer en robe devant sa mère, puisqu’il croit encore que les petits garçons peuvent porter de tels vêtements. Le Claude d’Hosanna agit quant à lui à contre-courant de son genre, et ce, d’une manière tout à fait flamboyante. L’oppression de son expression de genre vécu dans sa jeunesse le déchire toujours au fond de lui. Par exemple, le Claude d’Hosanna affirme haut et fort qu’il a laissé le Claude enfant apeuré derrière lui à son arrivée à Montréal. Or, lorsque Sandra, la comparse travestie d’Hosanna, l’humilie devant tous ses amis, ce n’est pas Vincent Roy qui va sur scène pour subir l’outrage de sa Cléopâtre, mais c’est bien Josef Asselin et Philomène Robitaille!

Finalement, le Claude de La Shéhérazade des pauvres s’assoit sur sa chaise de terrasse extérieure du côté cour durant à peu près toute la pièce. Or, son Claude reste toujours avec une vive répartie. On sent, par contre, que la flamme dans ses yeux s’est éteinte il y a bien longtemps. Ce Claude est complètement résigné. Il se replie devant le cabaret de ses souvenirs et de ses regrets, comme s’il se menait lui-même vers sa propre mort.

Cela dit, d’autres acteurs et actrices méritent pareillement d’être nommé∙e∙s pour leur prestation dans cette pièce. Je n’ai que de bons mots pour l’interprétation de la Duchesse de Langeais par Jacques Leblanc. Ce dernier a su tenir le rôle avec tout l’aplomb qu’on lui connaît. Également, la performance de Jonathan Gagnon en Sandra mérite une mention spéciale: ses appels au public en Sandra ont d’ailleurs causé de nombreux éclats de rire dans l’assistance!

Photo: Stéphane Bourgeois

Une Shéhérazade mémorielle

La scénographie surabonde de matières sensibles. On y voit une sorte de music-hall baroque composé des objets propres aux souvenirs de Claude. On y trouve entre autres un lit, une moto, un porte-vêtement pivotant, une coiffeuse pour Hosanna, et j’en passe.

Autre fait intéressant sur la mise en scène: l’œuvre contient beaucoup de pièces musicales. Par exemple, une séquence autour d’Hosanna et de son amant, Cuirette, est marquée par une chorégraphie autour d’un mashup entre «J’ai rencontré l’homme de ma vie» et «Can’t Help Falling in Love With You». Le tout est chanté par l’actrice Valérie Laroche, accoutrée d’un costume des plus particuliers. C’est comme si le personnage de Double-Face dans Batman était habillé dans un mélange d’une chanteuse des années 1970 et d’Elvis Presley!

Bien sûr, le choix des chansons place le public à la même époque qu’Hosanna. Ces éléments musicaux peuvent, par contre, se tourner contre eux parfois. Par exemple, la fin de la pièce se déroule en quatre temps: en premier lieu, il y a le Claude d’Hosanna, qui subit sa chute sociale. Cette scène en elle-même est déchirante. Par après, le Claude d’aujourd’hui dit à voix haute qu’il n’a rien fait de sa vie. C’est terriblement triste à voir et à entendre. Puis, le Claude d’Hosanna se met complètement à nue devant son amant Cuirette pour lui prouver qu’il est bien un homme. Le public est déjà en larmes. Et ce n’est pas fini! La pièce prend fin avec une version au piano de «Laissez-moi danser» de Dalida, chantée par Claude l’enfant.

Mon point, c’est que la musique va parfois un peu trop dans la surenchère et ça a pour effet de réduire un brin l’émotion qui coule déjà à flots.

Photo: Stéphane Bourgeois

Au-delà du quatrième mur

Chose intéressante, le quatrième mur s’est brisé à divers moments de la pièce, et ce, à ma plus grande surprise!

Notamment lorsque Valérie Laroche nous a offert le mot de bienvenue du Théâtre du Trident, déguisée en personnage sur la scène! Original. Dans la diégèse du récit d’Hosanna, il y a aussi un sketch de travestie jouée par Hosanna. Or, un pépin technique se produit. Ça fait en sorte que le sketch est mis sur pause durant quelques secondes, puis que les lumières de la salle se rallument. Aussi, Hosanna et ses amis s’assoient parmi le public lorsqu’ils vont voir Gilda jouer à la Place des Arts. Enfin, plus tard, Hosanna se fait happer par Sandra au moment où elle est humiliée. En bref, tous ces appels à la foule ont offert de sympathiques clins d’œil à même l’assistance.

Et la chute d’Hosanna devient encore plus brutale. Personnellement, c’est précisément cet effondrement qui est venu me chercher. La drag ne vous intéresse pas? Regarder l’histoire de la lutte des droits LGBTQIA2+ au Québec ne vous touche pas plus que ça? Soyez-en assuré∙e, cependant: vous ne resterez pas de marbre devant la chute d’Hosanna!

Je crois que chaque être humain expérimentera éventuellement, à un moment ou l’autre de sa vie, une chute violente de son être, au point d’être déchiré de l’intérieur et d’être face à un dilemme moral. Comme pistes de solutions, bien sûr, on peut toujours se retrousser les manches, envers et contre tout, ou bien succomber à petit feu à son malheur.

Claude chute, et il n’agit pas.

Ce personnage tellement rempli de sens pour tant de gens tombe et ne fait rien pour se relever. Qu’est-ce que ça veut dire, exactement? Je n’y vois sincèrement aucune réponse claire. Mais peut-être est-ce là la grande force de cette réécriture: faire en sorte que cette histoire nous touche au plus profond de notre être et demeure en nous longtemps après qu’on ait quitté la salle.

«Hosanna ou la Shéhérazade des pauvres» en images

Par Stéphane Bourgeois

  • «Hosanna ou la Shéhérazade des pauvres» du metteur en scène Maxime Robin au Théâtre du Trident
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