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Crédit photo : François Laplante Delagrave
Et vous, avez-vous déjà joué à ce jeu: «Si vous pouviez passer une soirée en compagnie d’une personnalité connue, qui serait-elle»? Eh bien, bien après avoir vu cette pièce, moi, en tous les cas, je peux vous garantir qu’Alan Turing serait mon choix numéro un!
En entrevue en décembre dernier, alors que les fêtes approchaient à grands pas, le metteur en scène Sébastien David me mentionnait que son objectif, avec ce spectacle, était de créer un mariage, à savoir une superposition entre la petite histoire, celle, intime, d’Alan Turing, qui est très peu connue du public, et la grande histoire, celle de la Deuxième Guerre mondiale, durant laquelle des drames immondes ont été commis.
Aujourd’hui, alors que j’ai enfin eu la chance de voir la pièce, je peux dire que c’est une mission réussie! Dès le début du spectacle, et ce, à travers un monologue à la fois intriguant et saisissant, Benoit McGinnis dans la peau d’Alan Turing fait face au public et explique que l’histoire qu’il s’apprête à nous raconter est la sienne, mais aussi de celle de l’humanité.
Il s’ensuit une rafale d’images d’époque, appuyée par les éclairages de David-Alexandre Chabot et la vidéographie audacieuse de William Saumur, jusqu’à ce que notre regard s’attarde sur une photographie en particulier: un gros plan d’Alan Turing, le vrai.
Une ode à la différence
L’histoire fascinante autour de la vie de Turing résonne encore très fort aujourd’hui, et ce, même en 2024. Car c’est celle d’un homme «différent» et souvent incompris, aux idées qui sortaient certes de l’ordinaire, et qui a été injustement condamné pour son homosexualité. La différence a toujours choqué les «bonnes mœurs», n’est-ce pas?
«J’ai voulu faire une ode à la différence et à l’acceptation à travers son histoire», m’expliquait Sébastien David en entrevue.
Et laissez-moi vous dire que ce côté «décalé», un peu «inadapté socialement», on le ressent complètement à travers la performance sans faille de Benoît McGinnis! Son physique recroquevillé et son bégaiement rendent d’emblée justice à l’image que l’on se fait du mathématicien.
Durant la représentation, on voit d’ailleurs Turing à différentes périodes de sa vie, et on réalise qu’il a toujours eu de la difficulté à entrer en relation avec les autres. Pour lui, la solitude prenait même, par moments, des allures de prison.
«C’est toujours difficile d’entrer dans le physique d’un personnage, mais avec Turing, c’était un défi bien particulier. Surtout en raison du bégaiement qui doit venir naturellement», m’a avoué Benoît McGinnis lors de notre discussion.
Sa performance est si vraie et si troublante d’authenticité que je me suis vite attachée à son personnage. Ses failles, si je peux les appeler ainsi, deviennent cocasses, voire attendrissantes. D’après Benoît McGinnis, Turing était un homme très drôle qui avait beaucoup d’autodérision, mais peu de gens ont eu le privilège de connaître cet aspect de sa personnalité.
Cet humour enfantin caractérise très bien le personnage haut en couleur qui nous est présenté et qui est sur scène durant toute le spectacle.
Turing à travers le temps
La Machine de Turing s’ouvre dans les années 1950, alors qu’Alan Turing porte plainte pour un vol qui a été commis chez lui. Rapidement, on comprend qu’il a été cambriolé par le complice d’un de ses amants. C’est à travers l’enquête du détective que le public découvre l’histoire du mathématicien et cryptologue de génie.
Vu la nature délicate de son travail, Turing a été tenu au secret toute sa vie. C’est le silence qui pèse le plus sur le cœur d’Alan. Ses adresses au public apparaissent comme un besoin vital de se raconter et d’échanger. Les allers-retours entre le passé (durant la Seconde Guerre mondiale) et le présent (les années 1950) permettent de voir que l’intimidation et la violence ont suivi le pauvre homme toute sa vie, et ce, jusqu’à la fin.
«La honte, je connais ça. Je la ressens tous les jours. La seule honte avec laquelle je ne peux pas vivre, c’est celle de ne pas réussir à briser Enigma», peut-on l’entendre dire.
Une interprétation marquante
Sur scène, les personnages secondaires qui ont été marquants dans la vie de Turing viennent le rencontrer et échanger avec lui: le détective (Étienne Pilon), l’amant (Gabriel Cloutier-Tremblay), le patron lors de l’opération de décryptage d’Enigma (Jean-Moïse Martin).
Ces derniers permettent aux spectateurs de mieux comprendre qui étaient ces gens qui ont contribué au travail de Turing et surtout de voir comment cet homme si singulier entrait en communication avec son entourage. C’est ainsi que tous ces gens passent dans la vie d’Alan Turing à la manière d’un speed dating théâtral! Mais le protagoniste, joué par Benoît McGinnis, est vraiment le point central de ce spectacle.
Les décors, quant à eux, sont plutôt simples et souvent constitués d’une image unique projetée sur un grand écran. À l’occasion, quelques meubles viennent garnir la scène pour nous plonger dans un bureau ou un appartement.
Évidemment, les moments entre le mathématicien et sa fameuse «machine de Turing», qu’il nomme Christopher en l’honneur de son meilleur ami d’enfance décédé d’une intoxication alimentaire, sont vraiment percutants. N’oublions jamais que c’est grâce à son précieux travail de décryptage que les plans des nazis allemands ont été déjoués durant la Seconde Guerre mondiale!
Personnellement, c’est le jeu physique de Benoît McGinnis, d’un incroyable réalisme, qui a capté toute mon attention.
Une pièce à voir absolument
Non seulement ce spectacle permet au public de revisiter un pan marquant de notre histoire, mais il permet aussi de s’attacher à l’un des hommes les plus incroyables et méconnus du XXe siècle. De grandes leçons de vie sont véhiculées à travers ce spectacle. Apprenons à écouter ces gens qui ne pensent pas comme nous, ceux qui voient les choses différemment.
Car c’est en donnant une place aux idées éclectiques que nous permettons aux grands esprits de changer le monde après tout!
Profitez-en, car il reste toujours des billets d’ici au 24 février! Et la bonne nouvelle, c’est que quatre supplémentaires ont été annoncées plus tôt cette semaine, les 13, 14, 21 et 24 février, dont deux représentations en matinée. Pour en savoir plus, rendez-vous ici!
La pièce «La Machine de Turing» en images
Par François Laplante Delagrave
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