«La Machine de Turing» avec Benoit McGinnis au Théâtre du Rideau Vert – Bible urbaine

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«La Machine de Turing» avec Benoit McGinnis au Théâtre du Rideau Vert

«La Machine de Turing» avec Benoit McGinnis au Théâtre du Rideau Vert

Une histoire qui traverse les époques

Publié le 9 janvier 2024 par Flavie Boivin-Côté

Crédit photo : François Laplante Delagrave

C’est dans la salle de répétition du Théâtre du Rideau Vert, alors qu’une neige fine tombait à l'extérieur et que la métropole tout entière se préparait à partir en congé pour les fêtes, que Sébastien David et Benoît McGinnis m'ont gentiment accueillie pour ce qui allait devenir une discussion vive et passionnée. Quelques minutes avant mon arrivée, ils mettaient le point final à leur dernière répétition pour la pièce «La Machine de Turing», présentée du 24 janvier au 24 février, avant des vacances de Noël bien méritées!

Lorsque j’ai demandé aux deux artistes de me parler de la genèse de ce spectacle, ils m’ont expliqué que ce sont en réalité les sœurs Luce et Lucie Rozon d’Agents Doubles Productions qui ont vu un potentiel immense au fait d’adapter le texte original de Benoît Solès, dramaturge français récompensé par plusieurs prix Molière.

Ce sont par ailleurs ces dernières qui ont approché Benoît McGinnis afin qu’il interprète le personnage d’Alan Turing au cœur de la distribution québécoise. Benoît McGinnis a, par la suite, demandé à son ami Sébastien David s’il était intéressé à l’idée de mettre en scène la pièce et, comble de chance, le metteur en scène était justement à Paris à ce moment-là pour voir le spectacle… en France!

«J’ai beaucoup aimé voir où le texte s’en allait et surtout comment la personne de Turing était présentée. Puis je me suis dit qu’on pouvait vraiment faire quelque chose de bien avec cette histoire-là, avec nos couleurs et avec nos artistes d’ici», m’a confié Sébastien David.

La machine de Turing

«La Machine de Turing», à voir du 24 janvier au 24 février au Théâtre du Rideau Vert. Crédit: Angelo Barsetti | Design folio&garetti

Le metteur en scène, qui a notamment gagné le Prix littéraire du Gouverneur Général pour sa pièce Dimanche Napalm en 2017, avait déjà une équipe de scénographes et de techniciens en tête, mais il était surtout enchanté à l’idée de travailler le personnage d’Alan Turing aux côtés de son complice Benoît McGinnis, un rôle qu’il jugeait être à la hauteur du talent de l’acteur.

«C’est toujours difficile d’aborder des personnages, surtout celui-là», a commenté le comédien. «Il a un certain bégaiement, une manière de penser très particulière aussi. C’était un mathématicien extrêmement intelligent, et donc, il y a beaucoup de discours intellectuels à travers le spectacle, notamment en ce qui a trait à la naissance de l’intelligence artificielle.»

Alan Turing: un homme pour le moins singulier

Turing était effectivement un être d’une grande singularité, mais c’est aussi un modèle qui est entré dans l’imaginaire collectif, grâce à ses découvertes qui ont changé le cours de l’Histoire.

En effet, il est le créateur de la «machine de Turing», un appareil permettant la résolution de problèmes mathématiques complexes, ainsi que du «test de Turing», conçu pour évaluer la capacité d’une machine à raisonner à l’instar d’un être humain.

Et c’est également cet as des mathématiques qui a réussi à déchiffrer les messages cryptés de la machine cryptographique Enigma, utilisée par les nazis, déjouant ainsi les plans des Allemands durant la Seconde Guerre mondiale. Selon plusieurs experts, l’exploit de ce génie aurait permis de raccourcir cette grande guerre de deux ans!

Bien que les travaux d’Alan Turing soient évidemment abordés à travers ce spectacle, c’est avant tout la vie de l’inventeur et la personne qu’il a été, jusqu’à sa mort le 7 juin 1954, qui ont intéressé le dramaturge lors de l’écriture de son texte.

Benoit McGinnis dans le rôle d’Alan Turing. Photo: François Laplante Delagrave

«Ce qui est intéressant, c’est que je suis là tout le long. Je m’adresse au public dès le prologue, et c’est vraiment l’une des particularités du spectacle. On veut que les spectateurs et les spectatrices s’attachent à ce personnage-là», m’a avoué Benoit McGinnis.

Pour le metteur en scène Sébastien David, c’était essentiel que la pièce porte sur l’intimité de l’inventeur et mathématicien. «On se concentre vraiment sur la vie de cet homme-là, et aussi sur le fait qu’il était en avance sur ton temps», m’a expliqué le metteur en scène. «On a accès à son intimité, à son humanité. Je préfère lorsqu’on va à l’intérieur des choses. Je vois la vie d’Alan Turing comme une petite histoire dans la grande Histoire, et je veux que le public puisse vivre les deux.»

Cela ne fait aucun doute, Turing a eu une vie personnelle extrêmement difficile. Il a vécu beaucoup d’intimidation et a dû faire face à de la discrimination en raison de son homosexualité, ce qui était un crime en Angleterre à son époque. À la fin de sa vie, il a même été condamné à la castration chimique par œstrogène, sentence qu’il a choisie au lieu de la prison.

«Ce qui est exceptionnel, c’est que c’est un symbole LGBT, mais aussi un symbole d’intelligence et, mine de rien, c’est très rare dans la dramaturgie qu’on montre des génies sur scène», se réjouit Sébastien David.

Et la place d’Alan Turing en 2024?

Dans le contexte actuel où l’intelligence artificielle fait couler énormément d’encre (on peut penser à ChatGPT d’OpenAI ou à Gemini, le nouveau venu de Google), il est fort intéressant de comprendre la genèse de l’IA et de bien saisir, dans ce spectacle, les intentions qu’ont eues ceux et celles qui ont contribué à son développement au cours des années 1950. 

Cette même année, Turing présentait une conférence intitulée «Est-ce que les machines peuvent penser?» dans laquelle il imaginait un test pour répondre à cette grande question existentielle sur les machines usant de procédés électroniques. Ainsi, on comprend mieux pourquoi les travaux de celui qu’on a baptisé «Le père de l’intelligence artificielle» résonnent encore autant aujourd’hui.

Et ce qui fait aussi écho encore de nos jours, c’est le fait que Turing se sentait en marge de la société, notamment en raison de son homosexualité et de son bégaiement, sans oublier son désir de se faire accepter pour qui il était vraiment.

Benoit McGinnis dans le rôle d’Alan Turing. Photo: François Laplante Delagrave

«Ça parle beaucoup d’empathie, de différence et d’acceptation de l’autre», raconte Benoît McGinnis. «Ça fait tellement du bien; j’ai l’impression qu’on vit dans une société hyper radicalisée et dans laquelle il y a beaucoup de colère. Juste de savoir que, déjà, dans les années 1950, des hommes comme lui voulaient que la société pense différemment et soit plus bienveillante, ça fait un bien énorme, et ça fait surtout réfléchir à notre évolution depuis. Est-ce qu’on a tant changé que ça, au fond?»

En somme, les deux artistes s’entendent pour dire que ce qui va marquer le public avec ce spectacle, c’est qu’ils réaliseront après coup qu’ils avaient bien peu de connaissances au sujet de la vie de l’homme extraordinaire qu’a été Alan Turing!

La Machine de Turing sera donc l’occasion pour vous, spectateurs et spectatrices, de faire la connaissance d’un génie qui n’a pas su être reconnu à sa juste valeur et qui a passé sa vie durant à travailler pour sauver le plus de gens possible, grâce à des machines totalement novatrices. Cette pièce poignante est présentée du 24 janvier au 24 février au Théâtre du Rideau Vert. Achetez vos billets pendant qu’il est encore temps!

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