ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Jean-François Hétu
Le texte recèle bien quelques allusions discrètes au destin du poète et bibliothécaire argentin Jorge Luis Borges, à sa passion pour le langage ainsi qu’à sa cécité, mais ces évocations servent davantage à alimenter la métaphore qu’à donner vraiment un ancrage au récit. Par moments, les envolées lyriques sont entrecoupées de passages plus anecdotiques par lesquels on espère se faire situer dans un quelconque espace-temps, mais lorsqu’un pan de l’histoire argentine semble près de se révéler, le délire poétique reprend de plus belle.
Et plus les références historiques et imaginaires s’unissent, plus la sagesse révolutionnaire et la folie se confondent. Et dans cet univers, les héros d’Homère et de la littérature tragique grecque sont choisis plus souvent que les poètes argentins pour illustrer le contexte révolutionnaire dont les spectateurs étaient venus entendre parler. Ce choix déroutant peut se justifier en partie par l’engouement des mots d’un personnage bibliothécaire-poète, mais devant autant de pistes différentes de récits, le drame et la passion idéologique perdent pied sous l’érudition.
Heureusement, la musicalité du texte demeure au rendez-vous et les musiciens de Tango Boréal remplissent pleinement leur promesse pour ce qui est de la création et de l’interprétation musicale. Pour ce qui est des nombreux airs de tango, la voix du rappeur de Loco Locass était-elle le meilleur choix? Compte tenu du fait que les voix du siècle en tango étaient loin de rivaliser avec celles des grands ténors d’opéra, l’interprétation sans prétention du rappeur et comédien est très convenable. Ce dernier s’est aussi hasardé à quelques pas de milonga sans dénaturer le style. Dans ce décor, pour ainsi dire absent, il aurait même été heureux que la mise en scène accorde un peu plus de place à cette dimension du jeu physique.
C’est toutefois par la manière dont il parvient à guider les spectateurs, par la qualité de sa narration, à travers ces dédales poétiques, que le talent de Ricard se démarque principalement. Il sait faire ressortir avec finesse les passages un peu plus ludiques et traiter le reste avec intelligence. La tentation aurait pourtant pu être grande de surjouer, pour un acteur se retrouvant seul sur scène pour maîtriser un discours aussi exalté.
Après tant d’effort pour établir la connivence entre ce héros poétique et le public, il demeure triste que la cohérence interne du récit se trouve mise à aussi rude épreuve, par moments. Les dernières scènes, notamment, plutôt que de poursuivre leur logique poétique, laissent les spectateurs avec cette impression de s’être fait arracher brutalement à un rêve.
La pièce La bibliothèque interdite est présentée au Théâtre Outremont jusqu’au 31 octobre 2015.
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de la rédaction