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Crédit photo : Stéphane Bourgeois
Comment courir avec un trop gros cœur?
En 2016, alors qu’il cherche à percer dans le monde du théâtre, Emile Beauchemin – metteur en scène de La république Hip-Hop du Bas-Canada – est frappé de plein fouet par une myopéricardite virale, une inflammation du muscle cardiaque et du péricarde, causée par un surmenage extrême.
Cette épreuve bouleversante remet en question sa vision de la mortalité, l’amenant à explorer le transhumanisme, une philosophie visant à dépasser les limites biologiques humaines par la technologie.

Photo: Stéphane Bourgeois
Sa création H+ est le fruit de cette réflexion. Cette performance radicale transforme le théâtre en une épreuve physique. Chaque soir, Emile court un demi-marathon sur scène pendant plus d’une heure et demie, et ce, sans interruption.
Tout en racontant en détail la nuit de son infarctus et les conséquences qui en ont découlé, il assure lui-même une partie de la régie son et lumière. Ce défi offre une expérience immersive et intense au cours de laquelle la tension physique flirte avec une narration poignante.
H+ pose ainsi une question vertigineuse: tiendra-t-il jusqu’au bout, ou s’effondrera-t-il sous la pression?
C’est un spectacle-performance qui interroge la résistance humaine, ses limites et la quête de dépassement personnel.
H+: un dispositif scénique saisissant pour une performance hors norme
Dès les premières secondes, H+ capte l’attention par son dispositif scénique impressionnant. Côté jardin, Emile Beauchemin court un demi-marathon sur un tapis roulant, transformant son effort physique en moteur dramatique du spectacle.
Derrière lui, des données biométriques s’affichent en temps réel: kilomètres parcourus, fréquence cardiaque, heure en temps réel, ce qui rend palpable l’épreuve qu’il est en train de traverser. Pendant ce temps, un robot conteur narre des récits mythologiques, notamment celui de Prométhée, tandis qu’un feu symbolique éclaire la scène.

Photo: Stéphane Bourgeois
Maureen Roberge (L’ŒIL), qui endosse presque tous les rôles, sauf celui d’Emile et sa version âgée, insuffle une profondeur émotive aux figures féminines. Sa performance atteint un sommet d’intensité lorsqu’elle s’incarne elle-même en fin de vie au moment où elle revoit son vieil ami à l’anniversaire de ses 73 ans, proche qu’elle n’a pas vu depuis des années.
De l’autre côté de la scène, une cuisine hyperréaliste abrite une version d’Emile vieillie, laquelle est jouée par Michel Langlois. C’est d’ailleurs son tout premier rôle au théâtre! Ce dernier joue un témoin impuissant de l’acharnement de son double plus jeune.
H+ joue ainsi sur la superposition des temporalités, transformant son protagoniste en un Sisyphe contemporain, condamné à repousser ses limites jusqu’à l’épuisement.
Un spectacle audacieux, mais par moments déstabilisant
Si H+ marque par son ambition et sa puissance visuelle, il n’est toutefois pas exempt de faiblesses. La structure narrative, volontairement fragmentée, peut parfois perdre le spectateur. L’histoire personnelle d’Emile Beauchemin aurait suffi afin de nous offrir une pièce plus intime, et bien que l’ajout du transhumanisme enrichisse la réflexion, celui-ci alourdit par moments le propos.
Cette accumulation de concepts et de conventions théâtrales crée ainsi un effet d’éparpillement, rendant certains segments plus difficiles à suivre.

Photo: Stéphane Bourgeois
Un exemple frappant qui explicite cette impression se produit lors d’une scène durant laquelle Maureen Roberge discute longuement de son expertise en traduction. Bien que cet échange semble lié au rapport d’Emile au doute et à son mode de vie effréné, son intégration reste floue et peu exploitée pour la suite du spectacle.
Cette complexité narrative, bien qu’enrichissante, risque de laisser certains spectateurs sur leur faim.
Malgré tout, H+ demeure une expérience théâtrale unique, portée par une performance physique et émotionnelle d’une rare intensité.
L’aveu d’un secret
En conclusion, je dois vous avouer un secret: il serait naïf de prétendre que ma relation personnelle avec Emile Beauchemin ne marque pas ma perception de H+. J’ai eu la chance de connaître son créateur durant cette période intense de sa vie durant laquelle il a traversé cette grande épreuve.
Il me semble donc absurde de croire que je pourrais être totalement objectif face à une œuvre aussi profondément intime. Cependant, je crois que cette critique repose avant tout sur l’observation de la mise en scène et des performances des acteurs, que ce soit au niveau du jeu ou dans la direction artistique.
H+ aborde des thématiques universelles qui résonnent profondément. En allant bien au-delà de l’histoire personnelle d’Emile, la pièce soulève une réflexion saisissante sur les limites humaines et la quête du dépassement de soi. Elle invite également le spectateur à s’interroger sur son rapport à la souffrance et à la résistance, tout en explorant l’aspiration visant à transcender nos propres frontières physiques et psychologiques.
Cette exploration nous rappelle aussi la fragilité inhérente à notre condition. C’est un enjeu pertinent, qui invite chacune et chacune à vivre une introspection sur ses propres limites et sur ses capacités à les affronter, dans un contexte de plus en plus axé sur la performance.
La pièce «H+» d'Emile Beauchemin en images
Par Stéphane Bourgeois
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Photo: Stéphane Bourgeois
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