«Embrasse» de Michel Marc Bouchard, dans une mise en scène d'Eda Holmes au TNM – Bible urbaine

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«Embrasse» de Michel Marc Bouchard, dans une mise en scène d’Eda Holmes au TNM

«Embrasse» de Michel Marc Bouchard, dans une mise en scène d’Eda Holmes au TNM

Quand la haute couture côtoie la région

Publié le 30 septembre 2021 par Edith Malo

Crédit photo : Yves Renaud

Le suspense était à son comble jeudi dernier au Théâtre du Nouveau Monde pour son 70e anniversaire! Après les discours de Lorraine Pintal, directrice artistique du théâtre et metteure en scène, et Nathalie Roy, ministre de la Culture et des Communications, puis la remise de bourses aux metteures en scène Angela Konrad et Ines Talbi, une vidéo commémorative en l'honneur de l'institution a défilé sous nos yeux. L'auteur Michel Marc Bouchard, quant à lui, attendait nerveusement le coup d'envoi de sa toute dernière pièce intitulée «Embrasse». Et pour ouvrir la saison de ce grand théâtre de la rue Sainte-Catherine, quoi de mieux qu'un auteur d'ici et une distribution fort prometteuse, avec notamment Théodore Pellerin, Anne-Marie Cadieux et Yves Jacques, pour donner vie à ses mots? La barre était haute pour cette coproduction du TNM et du Théâtre Centaur, dont la mise en scène a été assurée par Eda Holmes. Et alors, le défi a-t-il été relevé?

Le public fervent des oeuvres du prolifique dramaturge québécois (Tom à la ferme, Les muses orphelines, La nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé), sera peut-être mitigé devant cette récente création.

Tous les éléments sont pourtant en place pour nous faire apprécier le moment: un décor onirique empreint de volupté, des acteurs flamboyants, un fantôme sosie d’Yves Saint Laurent qui fait son apparition par moments, ainsi qu’une langue riche et poétique quand il est question d’étoffes, d’agencements de tissus et de haute couture.

Une intensité racoleuse

Or, l’intensité dramatique et caractéristique de la signature de Michel Marc Bouchard est ici poussée à son paroxysme. Certaines scènes en deviennent presque grotesques, notamment lorsque Béatrice (Anne-Marie Cadieux), dans un excès de rage, déchire à pleines mains le chemisier conçu par son fils Hugo (Théodore Pellerin). Elle se retrouve alors vêtue d’un simple soutien-gorge, exacerbée par sa colère. À ce moment précis, le drame génère plus de malaise que de compassion.

Tout au long du spectacle, l’intensité se joue surtout entre Hugo et Béatrice. Quant aux personnages du sergent Régis (Anglesh Major) et de madame Maryse (Alice Pascual), ils sont plutôt secondaires, voire accessoires, comme en soutien à une intrigue que j’ai trouvée plus faible.

Est-ce que Béatrice Lessard inflige réellement de mauvais traitements à son fils? Leur voisine, madame Maryse, a-t-elle raison d’aviser la police, soupçonnant les cris d’Hugo comme des plaintes récurrentes? Allez savoir…

Naviguer entre l’humour et le drame

À la base, on semble assister à un petit drame de région. Alors que Béatrice sort du Subway, un sous-marin à la main, madame Maryse l’insulte publiquement en plein centre d’achat. Béatrice riposte avec une gifle franche. Scandale. La plainte sera portée devant les tribunaux. À l’occasion du procès, Hugo, jeune adolescent fébrile et lunatique épris de mode, entreprendra de confectionner une robe à sa mère, bénéficiant des précieux conseils du célèbre designer français.

L’humour et le drame ne s’emboitent pas toujours harmonieusement, car à certains moments on remarque des ruptures de ton, notamment au niveau du personnage de Béatrice, qui incarne un certain régionalisme, et ce, même si elle déblatère une série de préjugés au sujet des résidents de sa ville campagnarde.

Cependant, cette propriétaire d’un magasin de tissus est admirablement bien campée par Anne-Marie Cadieux, toujours aussi grandiose dans la peau des personnages qu’elle incarne.

Femme aigrie aux rêves déchus, mère possessive et acerbe, on pourrait (presque) croire les faits qui lui sont reprochés. C’est d’ailleurs elle qui envoie les répliques les plus drôles, et c’est peut-être la raison pour laquelle son drame intérieur ne nous émeut guère…

Des thèmes chers à l’auteur

Michel Marc Bouchard, avec Embrasse, dépeint ici un amour filial trouble à l’image de celui qu’Yves Saint Laurent entretenait avec sa mère, à savoir une relation marquée à la fois par des élans de tendresse, mais qui était la plupart du temps conflictuelle.

Quant au thème de l’art, cette voie d’émancipation et de liberté, l’auteur nous insuffle cette passion de la mode via la richesse poétique et envoûtante de ses mots. C’est une pièce qui mériterait autant d’être lue que vue.

Les échanges entre un Hugo tourmenté, interprété avec toute la candeur et la fragilité de Théodore Pellerin, duquel on s’éprend sans se faire prier, et un Yves Saint Laurent campé par Yves Jacques, révèlent l’artiste torturé et la passion de la mode.

Or, j’ai éprouvé certaines réserves à l’égard du personnage d’Yves Saint Laurent. Yves Jacques est certes un acteur brillant qui sait se transformer avec agilité et tout en subtilité. Seulement, son Yves Saint Laurent est très maniéré et, bien qu’il imite le ton, l’accent et les inflexions de voix d’un Yves Saint Laurent plus âgé, son personnage, au final, ressemble plus à un dandy qu’à un designer.

Force est d’admettre qu’il nous donne toutefois l’envie d’approfondir nos connaissances sur le grand couturier.

Faites-vous votre propre appréciation!

Ne boudez pas votre plaisir. Si vous êtes épris de l’univers de Michel Marc Bouchard, vous serez séduit.e par sa langue et par la scénographie onirique.

Malgré un éclairage froid laissant émaner le fantôme d’Yves Saint Laurent projeté sur un voile immaculé, le décor où s’érige un mur de bustes rangés symétriquement dans des cases laisse émaner autant la volupté qu’un sombre mystère.

La proposition demeure intéressante, et le moment, somme toute, est agréable.

La pièce Embrasse de Michel Marc Bouchard est présentée jusqu’au 16 octobre 2021 et des supplémentaires ont déjà été annoncées du 17 au 24 octobre 2021. Bon spectacle!

«Embrasse» de Michel Marc Bouchard en images

Par Yves Renaud

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