«Baby-sitter» au Théâtre la Licorne dans une mise en scène de Philippe Lambert – Bible urbaine

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«Baby-sitter» au Théâtre la Licorne dans une mise en scène de Philippe Lambert

«Baby-sitter» au Théâtre la Licorne dans une mise en scène de Philippe Lambert

Femmes de rêve

Publié le 24 avril 2017 par Pierre-Alexandre Buisson

Crédit photo : Magali Cancel

La culture du viol et le féminisme sont des sujets sensibles et très actuels. En parler publiquement équivaut souvent à marcher sur des œufs, en équilibre sur un fil de fer tendu entre le sommet du Mont-Royal et la Place Ville-Marie, et il est tout à fait jubilatoire de se retrouver devant un texte aussi dramatique que comique qui aborde ce thème avec beaucoup de finesse, d’intelligence, et… de couilles.

L’idée de ce texte mordant de Catherine Léger, qui croit fermement qu’on peut parler de sujets sérieux plus aisément dans le cadre d’une comédie, est née d’une multiplication alarmante de commentaires misogynes sur les réseaux sociaux, et d’un fait divers. Cédric, un peu saoul à un match des Alouettes, crie «Fourre-la dans l’cul!» à Chantal Machabée alors qu’elle est en direct, et perd subséquemment son emploi lorsqu’un extrait de son incartade, sur YouTube, devient viral.

Pour interpréter la pièce, une impressionnante distribution a été assemblée; David Boutin, que l’on a découvert en 2000 dans le film Hochelaga, de Michel Jetté, et qui est depuis devenu un visage connu et rassurant en salles et sur les planches, personnifie Cédric, dans toute sa splendeur clueless et son subconscient douchebag. Son frère Jean-Michel, un journaliste qui se considère comme le plus grand des féministes, est interprété par Steve Laplante, que nous avions pu apprécier, entre autres, dans la délicieuse Dénommé Gospodin au Quat’Sous l’an dernier.

Ce sont toutefois les personnages féminins qui tirent ici les ficelles et qui propulsent le récit vers sa forme absolument éclatée et jouissive.

Isabelle Brouillette, dans la peau de Nadine, la copine au bout du rouleau, joue avec une retenue exemplaire, et la justesse stupéfiante dans laquelle elle s’installe pour toute la durée de la pièce en fait une figure de proue sarcastique et imperturbable. On a aussi beaucoup apprécié Victoria Diamond, la baby-sitter du titre, qui jouait fin 2016 dans La Campagne de Martin Crimp au Théâtre Prospero. Son personnage à la morale élastique et au passé plus que douteux est à la fois fascinant, tout d’abord presque improbable, et plus le récit avance, de plus en plus essentiel.

Le texte, très festif, fusille beaucoup d’idées reçues; l’humour y est délicieusement ciselé et se moque du paternalisme, des bonnes intentions qui versent parfois dans le malhabile, et de la définition parfois élastique du féminisme. Que ce soit un personnage masculin avec le complexe du sauveur qui tente d’en devenir la référence se révèle encore plus grinçant.

Au fil du récit, les doubles standards se multiplient et, à un certain point, même le spectateur le plus convaincu est amené à se poser des questions sur sa perception du sujet. Un des personnages voit de la misogynie partout, et Émy, la gardienne, celle qui semble la plus docile du lot, se révèle finalement une excellente manipulatrice. Les segments où Cédric et Jean-Michel lisent à voix haute leurs lettres d’excuses à diverses femmes sont proprement hilarants, ainsi que la conception sonore, qui incorpore des segments de dialogue dans sa musique électronique qui fait aussi office de transition entre les scènes.

Tous les personnages de Baby-sitter sont extrêmement bien définis, la mise en scène est impeccable, et l’écriture mordante de Catherine Léger est très maîtrisée. Il en résulte, au final, une pièce à laquelle on prend un réel plaisir, à la fois un divertissement d’une rare qualité et qui pose des questions fort pertinentes et actuelles, tout en laissant les spectateurs sortir de la salle ravis et repus.

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Par Magali Cancel

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