«Le Sacre du printemps» dirigé par Kent Nagano à l'OSM – Bible urbaine

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«Le Sacre du printemps» dirigé par Kent Nagano à l’OSM

«Le Sacre du printemps» dirigé par Kent Nagano à l’OSM

Une joute orchestrale impressionnante

Publié le 10 mars 2016 par Charlotte Mercille

Crédit photo : Dario Acosta / DG

L’Orchestre symphonique de Montréal (OSM) a fait sortir le public québécois de l'hibernation lors du premier d'une série de trois concerts printaniers à la Maison symphonique. Avant de s’envoler pour les États-Unis, Kent Nagano et ses musiciens ont rendu justice à un programme à la fois ludique et exigeant avec une aisance technique irréprochable. Retour sur un rendez-vous devenu rituel vernal alors que Nagano célèbre son dixième anniversaire à la barre de l’OSM.

Dès l’entrée du chef vedette de l’Orchestre symphonique de Montréal, on pouvait sentir l’immense respect voué à Kent Nagano. Connu pour la rigueur et la chaleur de ses performances, on lui doit également son engagement dans la communauté artistique montréalaise. L’orchestre a brisé la glace avec «Jeux» de Debussy en première partie, une oeuvre qui aura fait couler beaucoup d’encre à sa sortie à Paris, en 1913. Fait intéressant, le scandale devancera d’à peine deux semaines l’agitation de la première du «Sacre du printemps», composé par Igor Stravinski, un émoi probablement exacerbé par la menace imminente d’une guerre mondiale.

Les thèmes très instables de la pièce rappellent la créativité impressionnante d’un jeu enfantin constamment exposé au changement. Les cors se prêtent à la fluidité, si bien qu’ils sonnent comme des cordes à certains moments. L’orchestre a démontré sa maîtrise des nuances, par exemple l’un des subito piano des cordes qui a pratiquement muselé le reste de l’orchestre. Légers, rebondissants, les Jeux selon Debussy se bouclent toutefois par les mêmes accords inquiétants du début, semblables au sourire de celui qui prépare un mauvais tour.

En ouverture du premier mouvement de Prokofiev, Todd Cope fait un magnifique travail technique, et ce, même dans les aigus les plus doux. La chevauchée de l’orchestre emboîte rapidement le pas pour structurer les envolées du pianiste Daniil Trifonov. Comme en symbiose avec son instrument, ce dernier se jette dans une interprétation très physique dès les premières mesures. Timide, Kent Nagano sait s’estomper derrière le soliste avec tact.

Entre les tempêtes de gammes chromatiques et les interludes romantiques, Trifonov démontre une maîtrise exemplaire quoiqu’un peu aride du défi technique de la pièce. Il lui manque encore une émotion que la maturité et l’expérience lui apporteront sûrement avec le temps. Qu’à cela ne tienne, le public conquis en a redemandé pour un rappel qui s’est avéré tout aussi ludique que le reste du programme.

Finie la récréation au moment où l’OSM entame les premières mesures du «Sacre du printemps». La pièce d’Igor Stravinski, qui avait causé rien de moins qu’une émeute parmi le Tout-Paris du début du XXe siècle, n’est pas divertissante. Difficile, voire épuisante à entendre, l’oeuvre déstabilise grandement les repères sonores du spectateur. Elle n’en reste pas moins un incontournable de la musique occidentale.

Le fameux solo d’ouverture du basson, ici interprété par Stéphane Lévesque, évoque les premiers soubresauts de la création de la vie sur Terre, de l’aube de l’univers. D’autres accords plus inquiétants prolifèrent autour de la mélodie d’origine comme des cellules organiques. Des vapeurs de cordes se mêlent à la pluie printanière des vents, dont le timbre rond est particulièrement réussi. L’équilibre des nuances entre sections est tout à l’honneur de Nagano. L’attention portée au flirt avec l’atonalité, à la richesse des textures sonores et au rythme saccadé par les musiciens témoignent d’une étude efficace de Nagano. Saluons aussi le magnifique travail de la section des clarinettes, plus particulièrement la justesse de la clarinette basse interprétée par André Moisan.

La répétition des thèmes du «Sacre du printemps» évoque la constance d’un rituel primitif animé par un jeu de questions-réponses. À la fébrilité du premier tableau «L’adoration de la terre» s’ensuit le malaise hypnotisant du «Sacrifice». On reste inévitablement pendus aux notes des vents jusque dans les phrasés pianissimo.

On dit que plus une pièce est jouée, plus il est difficile de se l’approprier. C’est à des piliers du répertoire classique que se sont mesuré de façon impressionnante le jeune soliste Daniil Trifonov et l’Orchestre symphonique de Montréal et ces derniers nous ont prouvé que les meilleures parties se jouent en équipe. La formation pourra partir aux États-Unis la tête en paix puisqu’ils offriront le même programme au public américain durant la tournée où ils s’arrêteront notamment à Washington, Chicago et Berkeley.

Le printemps s’annonce décidément radieux à l’OSM.

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