«Dans la peau de...» Dave St-Pierre, emmerdeur artistique – Bible urbaine

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«Dans la peau de…» Dave St-Pierre, emmerdeur artistique

«Dans la peau de…» Dave St-Pierre, emmerdeur artistique

Celui qui aspire à ne pas se mettre de limite

Publié le 17 février 2017 par Éric Dumais

Crédit photo : Alex Huot

Chaque semaine, tous les vendredis, Bible urbaine pose 5 questions à un artiste ou à un artisan de la culture afin d’en connaître un peu plus sur la personne interviewée et de permettre au lecteur d’être dans sa peau, l’espace d’un instant. Cette semaine, nous avons interviewé Dave St-Pierre, dont le nom a fait couler beaucoup d'encre suite aux représentations de Suie. Nous avions envie de jaser avec cette drôle de «bibitte» qui se qualifie lui-même d'emmerdeur artistique.

1. Tu es auteur, metteur en scène et directeur artistique. Est-ce que le Dave St-Pierre de jadis, alors jeune et rêveur, caressait déjà l’idée de pratiquer tous ces métiers? Qu’est-ce qui t’a motivé à suivre cette voie?

«Je n’ai pas l’impression d’être ce que vous nommez, du moins, je pense. En fait, je me qualifierais plutôt d’emmerdeur artistique :P. Sérieusement, je ne me suis jamais considéré comme chorégraphe ou metteur en scène. Je me sens plus comme un imposteur, et ce, dès 1995, quand j’ai débuté comme danseur. Je me considérais plutôt comme une «bibitte», un artiste indéfini, acteur physique, danseur contemporain, performeur? Je n’ai pas de formation en tant que telle, j’ai appris sur le tas, je suis un bâtard. Cela est devenu avec le temps une ligne de conduite, un motto. Je crois que ça se voit pas mal dans mon travail et dans le choix des interprètes-créateurs avec qui je travaille (du théâtre, de la danse, contemporaine ou urbaine, de la performance et aussi des gens sans aucune expérience de scène).»

«Quand j’étais jeune et rêveur, je voulais provoquer, je voulais crier, je voulais m’ouvrir le corps en deux, j’étais prêt à déchirer beaucoup plus que ma chemise pour défendre mon art. Je ne caressais pas d’idéaux en tant que tels, sauf peut-être celui de prendre une place dans ce monde en tant qu’artiste pour partager ce que j’avais à dire. Je voulais créer et mordre les gens, je voulais pousser les limites, je voulais «déconcrisser» ces protocoles, cette bienséance, cette rectitude. Ensuite, chemin faisant, je me suis rendu compte que mon art était devenu mainstream, limite bourgeois. Mon nom était synonyme de rentabilité. On m’a demandé de refaire les mêmes spectacles, la même recette qui, en 2004 avec la Pornographie des Âmes, a choqué les gens. Elle était devenue la «patente» à la mode que tout le monde voulait voir. Et sincèrement, je déteste ça devenir l’artiste qui fait dans le consensuel. J’ai décidé de revenir à mes racines, les plus fortes, celles qui ont fait de moi qui je suis aujourd’hui. Ne pas rester dans le confort, fucker le chien, fucker mon chien, foutre le trouble, faire se questionner les gens, les faire se braquer. J’aurais pu choisir la facilité, continuer la recette pour m’assurer un confort financier, artistique, des tournées, des ovations, etc. Ce ne sont pas les opportunités qui manquent.»

«Suis-je masochiste? Peut-être, surement. Mais je suis beaucoup plus en accord avec les choix que je fais. Je n’ai jamais été le bon petit soldat qui doit faire tout ce qui est possible pour que tout le monde l’aime, lui et son travail. Grain de sable dans l’engrenage, moustique qui vous tourne autour toute la nuit… That’s who I am

2. Au cours de ta carrière, ton art t’a conduit jusqu’aux grandes villes d’Europe telles que Munich, Berlin, Londres et Paris où tu y as présenté certaines de tes productions. Comment tes spectacles sont-ils reçus ailleurs vs Montréal?

«Chaque pays à son histoire et réagit différemment face aux spectacles. Je vous donne un exemple: Un peu de tendresse bordel de merde que la compagnie a présenté avec une semaine d’intervalle à Londres, au Sadler’s Wells, et à Paris, au Théâtre de la Ville. Les critiques de Londres furent négatives; «Dave St-Pierre n’est qu’un jeune artiste puéril qui présente une pièce vide», a dit un journaliste qui ne comprenait pas pourquoi il y avait un public pour ce genre de «chose». La réaction du public fut très mitigée. Puis, à Paris, ce fut la folie: trop d’ovations, des «encore, encore des bites dans nos visages», des critiques qui soulignent le «génie» du créateur, etc.»

«Chaque spectateur, qu’importe sa place sur le globe, est responsable de lui-même et de sa réaction face à une proposition artistique. Il la regarde avec ses propres valeurs, ses désirs, ses humeurs et son état de la journée. Chaque personne reçoit la proposition avec des conditions différentes. Chacun perçoit ce qu’il a envie de percevoir, garde ce qu’il a envie de garder et jette le reste. En aucun moment l’artiste n’est responsable de comment sa pièce est perçue. Tout est subjectif à fond. Il n’a aucun contrôle. Mais il est plus facile de lancer la merde sur l’artiste que de se faire face, de se poser des questions. Pourquoi ai-je détesté ça? Pourquoi ai-je aimé ça? Pourquoi ai-je cette réaction face à ce spectacle

3. C’est connu de tous: Dave St-Pierre ne laisse personne indifférent, et les critiques t’ont même tour à tour qualifié «d’enfant terrible» de la danse. Comment l’artiste en toi qualifierait-il sa démarche artistique?

«J’aspire à ne pas me mettre de limite. J’aspire à ne pas me freiner. Je suis fait de doutes, de questionnements, je ne me fais pas confiance, je fonce, je n’ai pas peur de me péter la gueule. Je suis un être extrêmement paradoxal. Je crois à la brutalité des images et des propos. Je crois à la radicalité des idées, à la dissidence, à la dissonance. Je crois à la perturbation, je chéris le chaos en création. Je cours après la vulnérabilité et la fragilité. J’aime le dépassement de soi, physique et psychique. J’adore les contradictions, j’aime me mettre dans le pétrin, l’inconfort. Les contraintes sont ce qu’il y a de plus excitant sur la scène pour moi. Elles portent le mouvement et la réflexion à un autre niveau, elles forcent à réfléchir, à laisser le corps choisir un autre chemin pour réussir à performer la chorégraphie imposée qui, on s’entend, ne ressemblera plus à ce quelle était. Il faut savoir lâcher prise. Dans la création, si un confort s’installe, je vais être le premier à le briser, à fournir une autre contrainte. Car qu’on le veuille ou pas, malgré la contrainte, le corps à une capacité de résilience et d’adaptation aux différents stimuli. Il finit par devenir virtuose malgré lui. Et il n’y a rien comme la virtuosité physique pour que ça commence à m’emmerder, m’ennuyer.»

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Extrait de la projection vidéo du spectacle «Suie»

Apprenez-en davantage sur ses réactions face aux critiques de «Suie» et ses explorations artistiques en 2017 à la page suivante!

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