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David et yecto, on est contents de jaser avec vous aujourd’hui! Pourriez-vous nous dire quand et dans quel contexte vous avez chacun eu la piqûre pour la musique, et comment vous avez nourri cette passion au fil des ans?
D.L.: «Depuis aussi longtemps que je suis conscient de la chose! Mon père étant batteur et ayant fait des études en musique, il m’a initié dès l’enfance à la musique. Sa famille était aussi composée de plusieurs musiciens – mon grand-père était notamment harmoniste pour les orgues Casavant.»
«J’ai d’abord été moi-même batteur pour quelques formations rock, mais avec l’influence du cinéma et de la musique électronique (comme celle d’Amon Tobin), je suis devenu fasciné par la création sonore en général – d’autant plus que je n’étais pas motivé par la performance instrumentale. Je me suis alors inscrit au programme de musiques numériques de l’Université de Montréal (UdeM), et de là s’est développée ma pratique.»
Y.: «J’ai découvert la musique grâce à mon père qui joue de la guitare et à ma mère qui chante; ils ont toujours cultivé ma curiosité d’écouter. Puis, mon grand-père, qui était un guitariste et compositeur voué à l’éducation et à l’étude de la guitare, m’a donné des cours pendant environ trois ans.»
«Au cours de ce processus, j’ai aussi découvert, grâce à des amis, le graffiti, le punk et diverses musiques qui ont été entendues dans le contexte de la contre-culture autour du skateboard principalement.»
«J’ai donc été formé à la musicalité par le biais de deux écoles: d’une part, par mon grand-père qui a étudié la guitare classique au Conservatoire et qui jouait et composait de la musique populaire mexicaine – comme le Boléro, le Huapango, le Son et la musique traditionnelle d’Oaxaca – et, d’autre part, par mes amis. Ensuite, il y a environ 15 ans, j’ai décidé de m’impliquer activement dans la création musicale à travers divers projets.»
Comment décririez-vous votre approche musicale, ainsi que votre rapport à la création? On aimerait bien que vous nous donniez un petit aperçu de votre signature artistique, en somme!
D.L.: «Dès que j’ai commencé mes études à l’UdeM, j’ai vu les dômes de haut-parleurs installés dans les studios et j’ai tout de suite voulu apprendre comment composer avec ces dispositifs. À ce moment-là, les outils de spatialisation sonore étaient peu accessibles et mal adaptés aux méthodes de composition typiques. J’ai réalisé qu’aucun étudiant ne s’y était vraiment frotté, et c’est alors que j’ai décidé de concentrer ma pratique exclusivement sur ce type de diffusion.»
«Sur le plan esthétique, je suis très sensible à l’écologie sonore. L’emploi d’un dispositif de diffusion multidirectionnel me permet donc de réaliser des environnements sonores permettant à l’auditeur de percevoir plus aisément les relations écologiques entre les sons.»
«La temporalité et la nature des événements sonores sont toujours situées au sein d’un même espace virtuel: les sons d’esthétique plus naturelle représentent l’environnement extérieur au corps, tandis que les sons de nature plus abstraite viennent musicaliser cet environnement en tant que représentation subjective. Il y a toujours une hybridation simultanée des sons de natures abstraite et naturelle, dans une approche assez maximaliste, de sorte que l’on pourrait qualifier cette musique de cinéma pour l’oreille – où l’oreille ne “regarde” pas un écran en face, elle écoute plutôt son environnement.»
Y. «Mes premiers projets étaient axés sur la musique punk et, plus tard, sur le folk et l’ambient. Cependant, j’ai toujours été un amoureux de la découverte et de l’écoute de la musique. Grâce à mon père et mon parrain, j’ai découvert le jazz, le soul, la salsa, etc.»
«À partir de ce moment, c’est surtout le jazz qui a été une grande source d’inspiration et qui m’a accompagné d’une manière ou d’une autre dans les explorations que je réalise aujourd’hui. Aussi, depuis mon jeune âge, je m’intéresse aux sons électroniques, notamment grâce à l’accessibilité qu’implique la création avec un ordinateur.»
«C’est grâce à ma volonté d’élargir le spectre du logiciel que j’ai fait connaissance avec le logiciel libre, et que j’ai rencontré la communauté du live coding en 2011. À partir de là, je me suis consacré davantage à la création de musique algorithmique, et j’ai commencé à pousser ces territoires de l’aléatoire et de la “générativité” vers le jazz.»
«Aujourd’hui, j’ai donc repris une relation plus étroite avec mon instrument – que je considère être la guitare –, et j’ai exploré des moyens hybrides d’utiliser le live coding ou des éléments de musique générative pour créer une conversation avec des instruments électroniques et analogiques, principalement la guitare et la voix.»
Pourriez-vous nous en dire un peu plus au sujet de la soirée Masse 21-22, présentée par Codes d’accès, et à laquelle vous prendrez part le 18 novembre prochain au Studio multimédia du Conservatoire?
D.L.: «En première partie, vous entendrez la création du deuxième volet du projet Cathédrales, intitulé “Réverbérence”, complétée depuis 2018. Cette musique spatialisée, d’une durée de près de 30 minutes, est conçue pour une diffusion sous dôme de haut-parleurs et sera adaptée au dispositif du Studio multimédia du Conservatoire de musique de Montréal (CMM).»
«Elle fait suite à la première partie, intitulée «Ville aux cent clochers», qui a également été diffusée au CMM en mars 2020 (au sein du spectacle Soundwich XII). Dans cette première partie, la cathédrale est alors représentée de l’extérieur, au sein de l’environnement urbain; tandis que dans la deuxième partie (“Réverbérence”), elle est représentée de l’intérieur et rend notamment hommage à l’orgue – un instrument singulier qui me fascine beaucoup.»
Y. «Je présenterai un set audiovisuel qui est très excitant pour moi, car il s’agit d’une confluence entre mes compositions et mes interprétations à la guitare avec la musique algorithmique, puisque j’utiliserai le logiciel Orca en conversation avec quelques synthétiseurs et effets.»
«Certains de ces effets et séquences sont contrôlés par le logiciel, il y a donc pas mal de variations rythmiques inattendues, des détails qui donnent plus de vivacité à la musique électronique. J’ai créé un programme qui évolue de manière générative en créant divers passages de feedback et d’abstraction visuelle, et qui feront de cette expérience un voyage de contemplation et de confluence que j’ai hâte de partager avec toutes les personnes présentes.»
Lors de cette soirée, vous assurerez des performances en lien avec les musiques électroniques qui, «par l’artifice du haut-parleur, […] amplifient le phénomène électrique, déploient des espaces inimaginables, sculptent la masse fréquentielle.» Pourriez-vous nous parler de l’œuvre que vous allez chacun présenter, ainsi que des processus d’exploration et de création qui vous ont menés à la réalisation de celle-ci?
D.L.: «Sommairement, “Réverbérence” est une œuvre d’esthétique plutôt ambient, qui manifeste l’ampleur, la puissance, la “masse” (justement) de l’édifice, mais aussi son silence révérencieux et apaisant.»
«L’idée première était de recréer l’environnement intérieur d’une cathédrale, tel qu’expérimenté d’un point d’écoute subjectif, tant sur les plans réaliste que surréaliste. C’est également un hommage à l’orgue et à mon défunt grand-père (qui, rappelons-le, était harmoniste pour le facteur d’orgue Casavant et frères).»
«C’est un instrument unique par son intégration propre à un lieu, par son interaction acoustique avec cet espace, par sa facture, son architecture, sa technologie, ses jeux, sa disposition, son timbre, son étendue spectrale, sa plage dynamique, etc. Ici, l’orgue, le chœur et la cathédrale forment ensemble une entité musicale singulière. Cette pièce représente également un processus personnel de déconstruction spirituelle.»
Y. «Resolana est un mot qui signifie “réverbération du soleil” et qui, d’un point de vue conceptuel, a une profonde influence sur cette pièce. Comme je l’ai mentionné, ça crée un espace, un monde abstrait où le feedback, la distorsion et la réverbération sont au cœur de la musique.»
«En termes de processus d’exploration et de création, Resolana est le résultat de mon parcours musical, et je suis très heureux de pouvoir intégrer ma guitare et ma voix à la musique assistée par ordinateur. Depuis que j’ai commencé à créer de la musique algorithmique, j’ai ressenti ce besoin de sortir du monde technique, de chanter et d’exprimer un message à la fois musicalement, mais aussi dans les paroles qui proviennent de la pensée métaphorique et de la création poétique.»
Comment votre rapport à la technologie et à l’électronique multiplie le champ des possibles vis-à-vis de la création musicale, selon vous?
D.L.: «Tel que je le perçois, la création musicale a toujours impliqué l’emploi d’un certain dispositif, qu’il soit d’origine naturelle ou, plus souvent, technologique. Le dispositif technologique sert donc essentiellement à cela: rendre possible de nouvelles façons de produire une musique.»
«Pour reprendre ma fascination pour l’orgue d’église – qui emploie souvent un système de traction pneumatique dès la fin du XIXe siècle, puis électropneumatique vers le tournant du XXe siècle –, il y a cette idée qui perdure de penser que la technologie est chose nouvelle en création musicale. Or, le dispositif de haut-parleurs et les outils de spatialisation sont maintenant très accessibles et faciles d’utilisation, tout comme l’est devenu l’orgue à une certaine époque.»
«À l’instar du perfectionnement des instruments acoustiques ou électriques de jadis, ce sont les intentions stratégiques des créateurs sonores qui guident le raffinement fonctionnel de ces outils, afin qu’ils soient adaptés à leurs besoins malgré les contraintes technologiques. Actuellement, ce raffinement s’effectue davantage au sein du développement logiciel (numérique), qu’au niveau de l’électronique.»
«Par exemple, je collabore toujours de manière informelle au développement d’outils de spatialisation sonore, soutenu par le Groupe de recherche en immersion spatiale (GRIS), dirigé par Robert Normandeau. Mes créations ont toutes été construites avec ces outils et, par le fait même, elles ont indirectement contribué à leur perfectionnement à ce jour. Une nouvelle idée ou intention permet de guider l’ajout de nouvelles fonctionnalités rendant celles-ci possibles.»
Y. «Je pense qu’il y a beaucoup de potentiel dans l’électronique, et il y a sans doute des sonorités qui me semblent incroyables du fait de leurs particularités, comme la capacité de filtrage offerte par divers logiciels ou synthétiseurs analogiques. C’est incroyable!»
«Cependant, je pense que la musique et la composition ne nécessitent pas beaucoup plus de technologie que l’essentiel, soit un crayon et du papier. Personnellement, j’aime garder à l’esprit quelque chose qu’Alex McLean a dit: “Computing was invented before the invention of computers”; c’est-à-dire que la technologie représente aussi bien le crayon et le papier, que ce que nous appelons numérique ou électronique.»
«Je pense donc qu’il y a certainement du potentiel dans les outils; mais surtout, là où je trouve le potentiel du numérique, c’est dans les communautés qui développent et partagent les connaissances, par exemple à travers les projets de logiciels libres.»
Quelles émotions et/ou réflexions espérez-vous susciter chez ceux qui assisteront à vos performances lors de la soirée Masse? En fait, on aimerait que vous nous décriviez l’expérience que vous souhaitez leur faire vivre.
D.L.: «J’espère simplement que ce sera une expérience immersive agréable, à laquelle le public adhérera. “Réverbérence” représente à la fois un lieu reconnaissable – l’intérieur d’une cathédrale –, mais aussi un processus de déconstruction spirituelle. Celui-ci est à la fois libérateur et nécessaire, mais aussi douloureux et anxiogène.»
«Il est représenté comme une déambulation au sein d’un espace vaste qui inspire le respect et la révérence, mais qui ne peut résister à l’ampleur et la puissance de l’esprit qui doute. C’est un processus lent et plutôt solitaire. C’est, en quelque sorte, cette expérience personnelle que je souhaite partager avec le public.»
Y. «L’évocation est calme: dans la pensée d’abord, mais aussi sur le plan spirituel. L’ensemble a beaucoup de nuances de blues, et il y a un sentiment de nostalgie d’être loin et une approche des racines, car rien ne pousse sans racines. Je considère également qu’il est très important que chacun puisse avoir un sentiment différent, car c’est la lecture d’un poème qui peut être interprété de différentes manières qui me touche le plus.»
À quelques jours de l’événement, comment vous sentez-vous à l’idée de monter sur scène et de partager ce moment avec le public?
D.L.: «Je ne monterai pas vraiment sur scène, puisque c’est une diffusion entièrement automatisée. Mais, j’ai très hâte d’entendre à nouveau cette pièce dans un dispositif capable d’en reproduire adéquatement tout le spectre sonore – surtout les graves. Je ne l’ai pas entendue dans un tel contexte depuis 2019, je crois.»
Y. «Plein de joie, ce sera certainement un moment mémorable et émouvant que j’attends depuis un certain temps déjà! :-)»
Et alors, à court ou moyen terme, quels sont vos prochains projets en lien avec la création musicale? On est bien curieux de découvrir sur quoi vous planchez, ces temps-ci… si ce n’est pas un secret d’État, bien sûr!
D.L.: «J’ai récemment diffusé un autre projet, Les champs sonores possibles, dans le cadre du festival Akousma, dans la cour intérieure de l’Usine C. »
«Je dois dire que les deux dernières années ont été assez éprouvantes sur le plan personnel et que j’ai très hâte de me replonger dans la création sonore. Mon intention est maintenant de concevoir des expériences sonores plus décentralisées – allant au-delà des limites du dôme de haut-parleurs –, sans pour autant en compromettre la qualité et la spatialisation du son.»
«J’ai beaucoup d’idées pour la suite du projet Cathédrales… Déjà, la fin de “Réverbérence” laisse un peu entendre l’espace qui sera représenté dans la prochaine édition (III): catacombes, crypte, tunnels et galeries souterraines, cavernes, etc. Cette partie représentera l’état dépressif suivant la déconstruction, mais aussi la solidarité sociale pour en émerger.»
Y. «J’ai étudié l’harmonie et la guitare avec des musiciens extraordinaires de Montréal et du Mexique, comme Mateo Barrera, Karina Galicia et Valentino Contreras. Je suis très enthousiaste, car ces connaissances permettent à mes nouvelles compositions d’avoir de nouvelles couleurs et de nouvelles nuances.»
«Je suis également sur le point de terminer le premier album de mon projet personnel, qui est masterisé à Mexico par Arturo Waldo Leal, et que je sortirai de manière indépendante en 2022. Merci beaucoup!»