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Crédit photo : Annie Leblanc Photographie
Dès que tu entres dans le Zenob, quelque chose se passe. Tu sens ton côté artiste, révolutionnaire, ta jeunesse et ta vigueur se réveiller.
Les salles de bains un peu amochées, les graffitis sur les murs, les affiches de groupes émergents côtoyant les photos des grands noms qui ont foulé le plancher de ce pub chaleureux… C’est un lieu qui respire l’histoire, la musique et la contre-culture.
J’ai pris le temps de m’imprégner de l’ambiance, de regarder la foule. À 43 ans, je ne me suis pas sentie comme la «petite vieille» de la place, loin de là! Il faut dire que Yann roule depuis 30 ans. À ses débuts, dans le groupe Doc et les chirurgiens, il n’était qu’un jeune adulte de 18 ans avec une fougue et une soif de prouver son talent. Puis, il a lancé sa carrière solo, s’imposant peu à peu comme une figure incontournable du paysage musical québécois.
La crowd du Zénob, elle, connaît Yann comme moi: au début des années 2000, avec son magnifique album Western Romance. C’est là qu’on a tous commencé à le suivre, puis avec Nucléaire, Un serpent sous les fleurs et À genoux dans le désir un peu plus tard. Ses fans, comme moi, sont tombés amoureux de ses textes, de la poésie et des émotions qu’il parvenait à transmettre avec une telle chaleur humaine.
Avec Le fantastique des astres, et surtout la chanson «J’aime les oiseaux», Yann a conquis un public plus jeune, dévoilant toute sa grandeur avec un son plus épuré et une production soignée. Et ensuite, silence radio…
Un silence involontaire.
Une dénonciation, dans la foulée du mouvement #MeToo, a éclipsé l’arrivée d’un album pourtant déjà bien entamé. Ce fut un retrait, brutal, de la scène médiatique et culturelle du Québec, un silence qui a effrayé ses admirateurs.
Des gestes qu’il regrette, des actions qu’il n’est pas fier d’avoir commises, mais qui ont pourtant terni sa passion. Perdre son équipe, perdre ses repères, se retrouver seul face à ses démons. Un retrait qu’il a vécu comme une forme d’exil, s’installant pendant deux ans à Paris avec sa douce Marie et leurs trois enfants.
Ce fut un retour aux vraies valeurs: la famille, la musique. Un temps de respiration, de reconstruction. Prendre le temps de vivre lentement, de se retrouver, pour mieux revenir en force.
Un retour non pas comme une simple résurgence, mais comme une renaissance, un nouveau départ.
La peur
Un nouveau départ, troublant et angoissant. Comment serait-il accueilli? Pour ouvrir ce moment, il a choisi «La peur», écrite à 21 ans, une chanson sur le courage face aux épreuves. Elle m’a touchée, rappelant pourquoi ce Yann-là m’avait tant manqué.
Porté par l’énergie du public, qui exprimait sa joie de le retrouver, il a soudain repris vie. Heureux, ça se voyait. Il a enchaîné des titres vibrants tels que «Jouer du rock and roll» et a offert des moments intenses, notamment une reprise émouvante de «Je ne peux plus dire je t’aime» de Jacques Higelin avec sa complice Audrey Simard.
Ce n’était pas juste un concert: c’était une renaissance, un artiste qui retrouvait son public et une part de lui-même.
Une rencontre intime
J’ai eu la chance de partager un petit rince-cochon maison* tout en lui posant quelques questions. Ce moment détendu, hors des projecteurs, a permis à Yann de se livrer un peu plus, loin de la scène et de l’agitation du lancement. C’était une occasion rare de voir l’artiste sous un autre jour, de discuter musique, inspirations et même de l’avenir, tout en sirotant ce cocktail avec la complicité de la soirée.
Ces échanges, simples mais profonds, m’ont rappelé pourquoi j’ai toujours eu une telle admiration pour sa musique et sa personne.
Geneviève: J’étais vraiment émue de voir que tu as commencé ton spectacle avec «La peur». Je ne voulais pas entrer directement dans le sujet de la dénonciation, mais je voulais savoir comment tu te sentais face à cette tournée qui s’annonce, et si, au fond, tu avais réellement peur.
Yann: «Cette chanson-là, pour toute la tournée, ce sera ma chanson qui casse la glace. Ce qui est beau, c’est que je l’ai écrite quand j’avais 21 ans. Aujourd’hui, j’en ai 48, et je redémarre mon métier après cinq ans de pause. Il y a effectivement quelque chose d’émouvant, parce que je me dis que ce petit cul que j’étais, il m’a écrit une chanson qui, aujourd’hui, quand je la chante, me donne de la drive. Elle me motive, elle me parle beaucoup, et elle parle aux gens. J’ai cette énergie-là. J’ai 30 ans d’expérience, mais j’ai 18 ans sur scène. Je trouve que c’est une belle façon de commencer le spectacle, de désamorcer. On a tous des hauts et des bas dans la vie, mais on a toujours le choix, abandonner, ou…»
Geneviève: «Capituler et mourir » (paroles de la chanson).
Éric: Moi, j’aimerais en savoir plus sur ton processus d’écriture. On demande souvent aux artistes quels sont leurs artistes préférés, mais moi, ce que j’aimerais savoir, c’est au niveau littéraire: quelles sont tes inspirations?
Yann: «Il y a Jacques Prévert. En l’an 2000, j’ai fait un an de théâtre avec Paul Pelletier, et nous avons beaucoup travaillé la poésie et les textes de Prévert. En parallèle, je lisais aussi sa biographie, donc ça, ça m’a forgé. Pour ce qui est du Québec, j’aime beaucoup Richard Desjardins, surtout la poésie et ses chansons. Jean Leloup, bien sûr, c’est un incontournable. Aux États-Unis, je suis un grand fan de Charles Bukowski, de Jack Kerouac et de toute la gang d’écrivains beatnik. Leur écriture brute, leur vision du monde, ça m’a beaucoup parlé.»
Geneviève: Il y a une chanson qui m’a particulièrement interpellée, «Le bleu du noir». En l’écoutant, je me suis posé beaucoup de questions, notamment sur la phrase: «Ne sens-tu pas comme cette tristesse respire l’amour». Et ça m’a immédiatement renvoyée à la perte de ma mère, il y a deux ans. C’est exactement l’image que j’ai du dernier souffle de ma mère. Je voulais savoir: cette chanson fait-elle référence au deuil, à la perte de ta mère, ou peut-être à celle de ta petite Marcia?
Yann: «Encore là, ça revient à ce que je disais tout à l’heure. On a le choix: soit on se laisse envahir par la tristesse, soit on choisit de voir quelque chose de plus grand, de plus beau. Moi, j’aime beaucoup la vision des Mexicains par rapport à la mort. Ils célèbrent la vie même dans la mort. Et je trouve qu’effectivement, le fait de perdre un être cher c’est une douleur immense, mais en même temps, il y a aussi une forme de libération, une sorte de passage vers quelque chose de plus grand. C’est un processus qui peut être difficile, mais aussi profondément humain. Ça a été une période douloureuse pour nous et grande à la fois. Et puis, en plus, le beat de la chanson est tellement smooth. Ça rajoute quelque chose de presque apaisant à tout ça.»
Éric: Maintenant, la question qui tue: je sais que vous, les artistes, vous n’aimez pas vraiment cette question, mais de façon 100% honnête, quel serait ton album préféré parmi ceux que tu as faits?
Yann: «C’est sûr que c’est mon dernier, c’est ça l’affaire! Je trouve qu’il y a vraiment une maturité dans cet album-là. Les arrangements, je me suis fait plaisir. Il y a même une chanson à trois accords, c’est dire! Il y a un peu de tout ce que j’ai fait avant, en passant par Western Romance et même Le fantastique des astres. C’est vraiment une sorte de synthèse de tout ça. Et dans Perro del Amor, il y a même des influences latines que j’ai explorées, et j’aime ça! C’est cool, je suis content du résultat.»
La suite?
Ce soir-là, dans le petit chaos artistique du Zénob de Trois-Rivières, Yann Perreau nous a offert bien plus qu’un simple lancement de disque: il nous a donné un aperçu de son parcours, de ses combats, de ses joies et de ses inspirations.
Avec Perro del amor, il signe un retour à la fois rafraîchissant et profond, alliant la maturité acquise au fil des ans et l’énergie débordante du jeune artiste qu’il était. De la poésie de Prévert à la vitalité latine, cet album est une véritable synthèse de son univers, une œuvre qui réunit toutes les facettes de Yann, avec un clin d’œil à chaque étape de sa carrière.
Alors, si vous n’avez pas encore eu la chance de découvrir cet album, foncez! Perro del amor est désormais disponible sur toutes les plateformes de streaming, mais aussi directement sur le site officiel de Yann Perreau, où vous pourrez en apprendre davantage sur cet artiste unique et son œuvre.
Et qui sait? Peut-être que cet été, au FestiVoix de Trois-Rivières, nous aurons l’opportunité de le voir sur scène, dans une ambiance tout aussi chaleureuse et intime que celle qu’il nous a offerte ce soir-là. La tournée vient tout juste de commencer, et on a l’espoir de revoir Yann sur les planches, où il a toujours su transmettre une énergie folle, une passion contagieuse et une musique qui fait du bien.
*Recette de rince-cochon signé Yann Perreau:
- Glace
- 1 oz de jus de citron
- 1 oz de vodka
- Eau minérale Abénakis
Le cocktail parfait pour les lendemains de lancement d’album!
Le concert-lancement de Yann Perreau au Zénob en images
Par Annie Leblanc Photographie
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