«Un peu tout croche» de Mélina Proulx: un court roman écrit par et pour la génération Z – Bible urbaine

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«Un peu tout croche» de Mélina Proulx: un court roman écrit par et pour la génération Z

«Un peu tout croche» de Mélina Proulx: un court roman écrit par et pour la génération Z

Une histoire d'amour moderne... sans grande prise de risque!

Publié le 24 février 2022 par Claire Groulx-Robert
Un peu tout croche, c’est le titre du court roman à la couverture jaune et au titre inscrit un peu tout croche, justement, de Mélina Proulx. Ce livre de 75 pages a attiré mon regard et a piqué ma curiosité quand je l'ai tenu entre mes mains. Et après avoir lu le quatrième de couverture, j'en suis venue à la conclusion que ça allait être soit vraiment bon, ou soit vraiment quétaine. J'ai pris une chance et j'ai plongé tête première dans ma lecture. J’avoue que j'ai été surprise lorsque j'ai réalisé que je nageais en réalité dans le «pas creux» d'un bassin de clichés propres à la génération Z.

Femme aux boucles d’oreilles dépareillées cherche poète dans un café

Avant d’aller plus loin, jetons un coup d’oeil à l’histoire de ce mini roman.

La protagoniste d’Un peu tout croche est une jeune femme dans la vingtaine, aux boucles d’oreilles «qui fittent, mais ne matchent pas». On la devine un peu marginale, artiste, rêveuse. Un beau jour, elle fait la rencontre de l’homme – de sa vie? –, en tout cas du garçon qu’elle surnomme «son poète», au café du coin.

Ces derniers tombent follement amoureux l’un de l’autre, et de fil en aiguille, on suit ces tourtereaux aux balbutiements de leur histoire, dans des aventures emplies de passion, de poèmes écrits avec des aimants sur le frigo, de vin cheap de dépanneur, de cactus et de Monsteras.

En fait, cet univers semble sorti tout droit d’un livre de John Green, mais adapté au goût et aux valeurs du jour.

L’écrivain.e Mélina Proulx aborde ici l’amour, «le vrai, celui avec un A majuscule, gras, souligné pis toute», avec légèreté et efficacité… mais dans un schéma narratif déjà maintes fois exploré: un couple se forme, vit sur son nuage jusqu’à ce qu’un événement vienne tout bouleverser. L’un veut une deuxième chance, l’autre… non. L’amour triomphera-t-il, au final?

En toute transparence, cette histoire bien prévisible m’a vite plongée dans un univers rempli de stéréotypes modernes, aux descriptions faciles. Tout cela m’a (un peu) laissé sur ma faim, je l’avoue.

Un peu trop de doux, pas assez de piquant

De page en page, j’ai attendu en vain le moment où je me retrouverais dans la partie profonde du bassin, où les mots de l’auteur.e m’emmèneraient là où j’aurais pu me laisser immerger totalement dans un univers d’émotions, mais ce moment n’est jamais venu.

À chaque page, j’espérais basculer vers l’inconnu, être challengée dans ma lecture. En fait, je cherchais le plot twist et à être (peut-être) émue par les mots, mais il n’y a rien eu de tel qui s’est produit.

La simplicité de l’écriture m’a quelque peu déconcertée. Je me suis rapidement lassée de l’abondance de qualificatifs tels que «doux» et «bon». Certes, l’expérience amoureuse se doit d’être douce et bonne, mais elle est aussi tellement plus que cela, non?

J’aurais aimé que mon imagination soit alimentée par une plus grande variété lexicale et par des images moins tirées des scènes à l’eau de rose.

Ne vous méprenez pas, je suis bien au courant qu’une novella se veut courte et qu’il est difficile de s’éterniser avec des détails et des descriptions quand l’œuvre entière comporte moins de 100 pages, mais pour un court roman, justement, je m’attendais à plus de punchs et à me faire sortir de ma zone de confort jusqu’à un dénouement inattendu, ou qui fait réfléchir.

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Mélina Proulx / Photo: Martine Doyon

Un esthétisme à la Gen-Z cloîtré dans des moeurs de millénariaux 

Un peu tout croche baigne dans un univers directement sorti de l’esthétisme des jeunes issus de la génération Z. Ce n’est pas étonnant, si on prend en compte que l’auteur.e est né.e en 1999! Moi-même, étant à cheval entre sa génération et celle des millénariaux, j’ai été (un peu) piquée au vif en reconnaissant des parcelles de ma réalité à travers les nombreux stéréotypes de ce roman: les apparts pleins de livres et de plantes, je connais ça, et je suis coupable moi-même!

Mais cet univers m’a semblé caricaturé à outrance. Ça m’a fait penser à des films coming of age comme The Perks of Being a Wallflower (2012), par exemple, où les personnages évoluent dans un univers qui relève plus d’un mode de vie utopique et idéalisé que d’un quotidien réel de jeunes dans la vingtaine.

Ce qui m’a chicotée également, c’est l’absence de risques: Mélina Proulx aborde une sorte d’idéal d’une relation moderne, ouverte et sans étiquette, propre aux valeurs des gen-z, connus pour leur progressisme, mais son histoire reste hélas cloitrée dans le confort de la monogamie hétéronormative.

Cette dichotomie a semé une certaine incompréhension lors de ma lecture: tant qu’à aborder en surface des valeurs modernes telles le couple ouvert, le brouillage des frontières des normes de genre et la bisexualité, pourquoi ne pas y aller all in?

En guise d’exemple, j’aurais aimé comme lectrice, qu’iel embrasse davantage la féminité et la bisexualité du personnage du poète, qui ne sont évoquées qu’en quelques phrases, plus comme une case à cocher qu’un sujet à approfondir.

Un.e jeune auteur.e à surveiller de près?

En somme, l’auteure qui publiait son livre chez Québec Amérique le 25 janvier dernier a offert comme première œuvre une histoire d’amour qui se nourrit un peu trop des clichés de sa génération à mon goût, racontée en des mots et images que j’aurais aimé être plus foisonnants.

Plaira-t-il à un lectorat plus dans la fleur de l’âge, plus avide de romance, et qui a moins horreur du quétaine que moi? Qui sait!

Cela dit, je surveillerai de près les prochaines publications de cet.te jeune auteur.e, car j’ai bon espoir qu’iel nous fera baigner et nager dans des eaux plus profondes à l’avenir, plus risquées et en dehors des chorégraphies déjà maintes fois exécutées sur la scène littéraire québécoise.

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