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Crédit photo : Éditions Alto
Dans un recoin des bureaux montréalais de la GRC, une hacker de 39 ans rebaptisée Jay compte les jours qu’il reste à sa peine de 10 ans pour vol d’identité. Sorte de Lisbeth Salander, en moins traumatisée, Jay se réchappe de l’ennui total et dangereux pour son dossier en s’intéressant à un conteneur suspect, dont toutes les autorités portuaires et douanières ont du mal à suivre la trace. Elle déteste la géographie. Reprenant des thèmes qui lui sont chers, comme le voyage et la technologie, Nicolas Dickner nous offre un nouveau roman tout aussi accrocheur que ses précédents, en plus sensible.
Installées en parallèle dans la première partie, les deux trames de vie tendront l’une vers l’autre dans la deuxième partie par la course de Jay vers Lisa. Elles mettent en scène deux personnages naviguant entre quête de sens et obsession techno-lucide, entre désir de solitude et attachement à autrui, entre enfermement et appel du large. Avant d’être trop avancé dans sa lecture, le lecteur pourrait même croire qu’il s’agit du même personnage, à quinze ans de distance, en lutte avec l’anesthésie universelle, le déterminisme intérieur et le délire géopolitique.
Paradoxe de la liberté
Reconnu pour Nikolski et Tarmac, l’auteur avait déjà démontré son habileté à échafauder des histoires originales, à la fois ancrées dans le réel et portées par une imagination réjouissante. Comme nous l’avions déjà remarqué dans ses deux premiers romans, mais également dans Révolutions paru l’automne dernier, Dickner aime comprendre à fond un mécanisme lorsqu’il s’y attarde. Particularités techniques, systèmes informatiques, rien n’est approximatif. Et pourtant, rien n’est fastidieux.
Cette fois-ci, le voyage passe par le conteneur, représentation de la mondialisation, camouflage d’une économie furtive, mais aussi symbole du risque et du grand désespoir des clandestins. Si la motivation de Lisa n’est pas exactement de cet ordre, elle surgit néanmoins d’un urgent besoin de fuir l’aliénation du quotidien. Paradoxale dans les termes, cette libération par l’enfermement ne peut que dérouter l’esprit rationnel. Défi humain et logistique, son projet est aussi insensé que salvateur. Au même titre que, pour le lecteur, cette poésie du conteneur est aussi incongrue qu’inspirante.
Tripoter un biscuit comme une idée subversive
Le talent de Dickner, c’est entre autres de créer un parcours par lequel le lecteur pourra à la fois sortir de lui-même (en suivant un récit bien ficelé) et plonger dans l’introspection si le cœur lui en dit. Il parvient à ce résultat par sa prose précise, presque minimaliste, juste assez décalée pour que le fil narratif se tende en un fil de fer poétique. Les métaphores concises et éloquentes surgissent sans tambours ni trompettes pour habiller la structure sous-jacente du roman. Un bagel qui s’avère un crime contre l’humanité, un «futon mince comme l’espoir, dans un appartement appartenant à une expérience à long terme sur les lois de la dégradation universelle; un parc industriel calme comme une estampe japonaise, une fille qui prend l’ascenseur avec son air sombre et son linge sale.»
Plus que jamais, Nicolas Dickner a trouvé dans Six degrés de liberté le juste équilibre entre la mécanique (descriptive autant que narrative!) et l’émotion, instillant chez le lecteur autant d’admiration que de plaisir.
Six degrés de liberté de Nicolas Dickner, 381 pages, éditions Alto.
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de la rédaction