LittératureL'entrevue éclair avec
Crédit photo : Pascal Desjardins
Roxanne, tu es co-directrice du Centre d’art et de diffusion CLARK, et toi, Caroline, commissaire au design pour la Ville de Montréal… et vos chemins se sont croisés! D’où est né votre intérêt commun pour le patrimoine et, plus spécifiquement, celui architectural et culturel?
R.A. «Je collectionne des objets rétro et kitsch depuis longtemps. J’étais aussi fascinée par les restaurants thématiques et cet intérêt m’a mené à explorer le sujet dans le cadre d’un mémoire de maîtrise en histoire de l’art. Caroline m’a d’ailleurs généreusement accompagnée dans les derniers milles de ce mémoire! Et puis, à l’époque, ma maison était une expérimentation de décoration selon différents thèmes par pièce: religieux, espagnol, tiki, etc. On disait même (de manière informelle) que c’était le musée du kitsch à Montréal! ;-)»
C.D. «J’ai fait des études spécialisées en patrimoine, et j’ai travaillé dans ce domaine pendant plus de 15 ans. L’architecture et le patrimoine m’intéressent depuis longtemps. J’ai rencontré Roxanne alors que je cherchais des arguments pour la sauvegarde du Ben’s, et elle travaillait à ce moment-là sur son mémoire. On n’a pas gagné contre la démolition du Déli, mais à partir de là on est devenues amies. Je suis aussi collectionneuse, donc on s’entend bien là-dessus aussi!»
On a aussi pu lire que vous avez planché ensemble sur de nombreux projets visant à mettre en lumière l’héritage kitsch du Québec de l’après Seconde Guerre mondiale. Qu’est-ce qui vous a mené à travailler en binôme sur ce thème?
R.A. «Ce livre, c’était mon rêve depuis la maîtrise! J’avais même décidé de poursuivre au doctorat pendant quelque temps. Après un bon nombre d’années, alors que je n’y pensais plus, j’ai reçu l’invitation des éditions Fides, celle de transformer mon mémoire en publication! J’étais super emballée par l’idée, mais j’avais zéro espace mental ou temps pour accepter (c’était un mois avant que je lance mon album Presse-jus). En parlant avec Caro, elle s’est proposée, et c’était juste magique. Je savais que c’était la personne idéale avec qui mener à bien ce projet!»
C.D. «Un soir, en prenant un verre dans un décor exotique, elle m’a parlé de ce projet et j’ai immédiatement proposé d’y travailler avec elle. J’avais envie de renouer avec la recherche, le sujet m’intéressait, tout ça, mixé avec le plaisir de travailler avec Roxanne. C’était parfait! La carte interactive patrimoinekitsch.com a été une première initiative pour voir si le sujet intéressait les gens, et comment, et ce, à travers tout le Québec. Comme ce sont les utilisateurs qui y mettent le contenu, c’est un moyen de découvrir de nouveaux lieux et aussi de valider comment les gens perçoivent le kitsch.»
Votre plus récent projet commun est le livre illustré Kitsch QC, paru ce 12 mai aux éditions Fides! Au fil des pages, vous invitez vos lecteurs à une immersion dans l’univers des restaurants et bars du Québec dits kitsch, avec des «décors exotiques et dépaysants». Qu’est-ce qui vous a donné envie de vous lancer dans ce projet d’écriture, toutes les deux?
R.A. «Le livre imprimé semblait être le bon format pour rassembler tout ce contenu. Plus qu’un site internet, plus qu’une exposition, il est, selon nous, la façon de consolider toute cette information en un seul endroit et de raconter cette histoire qui n’était pas connue jusqu’à présent.»
C.D. «On voulait faire un beau livre qui parle des différentes facettes de ces lieux, de l’histoire des propriétaires, des commerces, des styles, etc. L’iconographie à elle seule a un potentiel énorme de raconter l’histoire, mais on voulait vraiment qu’il puisse être un ouvrage de référence avec un contenu bien documenté, autant qu’un livre agréable à feuilleter. Le défi a été de créer un livre qui pouvait autant intéresser ton grand-père, le chercheur universitaire, les curieux d’histoire, ainsi que ceux qui sont attirés par les beaux livres de type coffee table book.»
Cette parution est un «véritable hommage à un patrimoine architectural et culturel en voie de disparition», où vous faites redécouvrir plus de 250 lieux uniques de notre province. Comment avez-vous procédé pour recenser ces commerces et en quoi ceux-ci sont-ils le reflet de l’histoire du Québec, selon vous?
R.A. «OMG! Il y a tellement eu de travail de prospection et d’épluchage d’archives non traditionnelles: publicités, guides de restaurants, bâtons mélangeurs, cartes postales, cartons d’allumettes. Tout ça, croisé avec le Registraire des entreprises du Québec, des Lovell, des appels directs et des visites de lieux encore ouverts, etc. Il y a plusieurs personnes merveilleuses qui nous ont aidées à faire cette recherche, autant des stagiaires, des bénévoles, des collectionneurs passionnés, des membres de la famille, des amis, etc. On voulait ratisser le plus large possible et croiser les sources afin d’essayer de rassembler les meilleurs exemples de cette tradition exubérante.»
C.D. «Tous ces lieux ont vu le jour dans un Québec effervescent en plein boom économique, stimulé par l’ouverture sur le monde, l’Expo 67 et la Révolution tranquille. Plusieurs immigrants ont ouvert des restaurants et des bars pour présenter leur culture (décors, musiques, costumes et gastronomie), un apprentissage riche pour l’un et pour l’autre. Le livre retrace la riche histoire d’une tradition nord-américaine unique en son genre et souligne l’apport des communautés culturelles qui ont contribué à l’essor économique et social des villes du Québec.»
Et alors, quels sont les prochains projets – ensemble ou séparément – qui vous attendent pour 2021? On est curieux de savoir ce qui va occuper votre temps à court et moyen termes, en lien avec vos diverses passions!
R.A. «Caro et moi on a souvent dit que, dès que le livre sera publié, on commencerait à recevoir des suggestions de lieux oubliés, des annonces de photos retrouvées, etc. Et c’est déjà un peu le cas! Haha…! Ce sujet semble avoir des possibilités infinies d’exploration. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle on laisse notre courriel un peu partout: [email protected]! Un jour, ce serait génial de présenter une exposition ou un documentaire sur le sujet!»
C.D. «Il faudra en effet rassembler dans notre belle base de données tous les commentaires des gens qui vont vouloir nous partager des photos, des menus, des cartes postales… avec des anecdotes, des informations sur des lieux qui sont ou pas dans le livre. Ça pourrait même nous servir pour une édition revue et augmentée, ou pourquoi pas un volume II (haha)!! Même si Roxanne n’est pas d’accord (aujourd’hui).»