LittératureRomans québécois
Crédit photo : Éditions La Mèche
William est aux prises avec des troubles alimentaires et Mathieu rêve de poésie, alors que son corps appartient en partie aux clients qui requièrent ses services. Ce sont deux protagonistes que l’on peut identifier plus clairement dans chaque nouvelle qui les met indépendamment en scène. Pourtant, au cours des dix-sept nouvelles de ce recueil, on connaît très peu l’identité des personnages masculins. C’est en réalité assez accessoire. Autre dénominateur commun: le «je».
Ce pronom personnel de proximité invite instantanément le lecteur à ressentir les émotions qui habitent les jeunes hommes fictifs, d’autant plus que les descriptions physiques et sensorielles sont légion. Les courts récits décrivent des états d’âme et des ressentiments plutôt que des actions ou déplacements, même si ceux-ci sont présents. La souffrance intérieure, physique et mentale, traverse les corps, tout comme l’alcool et l’ingurgitation de drogues diverses.
Il ne faut pas oublier que les corps se consomment à la même manière, c’est-à-dire dans l’extase, la folie passagère, le fast-food corporel. Certaines nouvelles sont d’ailleurs plus crues, si l’on pense aux titres «Le cul des hommes» ou «Parcours sexuel d’un détraqué». Le désir de se rapprocher, de renouer avec les odeurs marquantes et enivrantes, dans une optique plus relationnelle, n’est pas du tout exclu soit dit en passant.
Sur le plan formel, il faut souligner que le rythme de la nouvelle est bien maîtrisé. Même l’insertion d’une dose de lignes de poésie ou d’explicatifs sur les drogues inhalées par les personnages masculins arrive à accélérer la cadence sans cassure. C’est le cas pour «Nomenclature pour nos ivresses», nouvelle dans laquelle ce qui est raconté est interrompu par la description des substances absorbées par le corps narrateur. Dans une optique plus générale, on réalise l’empreinte de la poésie dans le caractère stylistique et structurel de l’auteur.
Tout bien considéré, ici, la déception vient surtout au sujet de la chute. Inexistante dans ce recueil, le punch est pourtant une des caractéristiques du genre littéraire de la nouvelle. Cette règle peut être brisée, mais elle s’avère tout de même incontournable: le lecteur s’y attend. Le fait qu’un des récits n’occupe qu’une partie de la page ou qu’il en noircit quelques-unes n’explique pas l’inégalité du recueil.
William Lessard Morin, enseignant en littérature au cégep de Baie-Comeau, brille dans la composition des phrases et on devine le travail dans le choix des mots et de leur efficacité. À vrai dire, l’omniprésence du «je» dans chaque nouvelle est peut-être responsable d’une impression de surdose de ressentiments corporels. Les variétés dans le type de narrateurs et des propositions plus étoffées sur le fond auraient sûrement permis de renforcer les nouvelles plus faibles, tout en gardant le thème exploité. La qualité d’écriture nous donne par contre envie de lire un jour un recueil plus touffu ou – souhaitons-le – un premier roman.
Ici la chair est partout de William Lessard Morin, Éditions La Mèche, 2015, 87 pages, 17,95 $.
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