LittératureDans la peau de
Crédit photo : Maëlla Lepage
Patrice, ou devrait-on dire Monsieur Cocktail!, on est ravi de faire ta connaissance. On s’entend que, jeune garçon, tu ne rêvais sûrement pas de devenir mixologue et d’en faire ta profession? À moins que…! Plus exactement, à quel moment as-tu senti que c’était cette voie-là qui t’interpellait, et qu’est-ce qui t’a décidé à faire le grand saut?
«En effet, je ne rêvais absolument pas d’être mixologue! (rires) En fait, j’étais un enfant plutôt introverti et timide. Je passais mes fins de semaine à la bibliothèque et je m’engouffrais sciemment dans la lecture. Je ne savais vraiment pas ce que je désirais faire de ma vie, et je me suis laissé “emporter par le courant” durant ma vingtaine, étudiant en Design graphique et amorçant une carrière au gouvernement du Québec.»
«Ce n’est qu’à l’aube de ma trentaine, lorsque j’ai pris la décision de reprendre le contrôle de ma vie et de trouver ma voie, que je suis tombé en amour avec la cuisine et la restauration. Cette passion nouvelle, nourrie par mon amour des gens et la capacité de raconter des histoires autour des saveurs, m’a un jour mené à goûter mon premier cocktail, un Old Fashioned.»
«C’est à cet instant précis, en novembre 2011, que j’ai su que j’avais trouvé ma voie. Je n’ai pas hésité un seul instant, j’ai quitté mon emploi permanent au gouvernement, j’ai loadé mes cartes de crédit et je suis parti faire le tour du monde pour m’accoter au bar des 50 meilleurs établissements internationaux pour les regarder travailler et les bombarder de questions.»
En 2015, tu as fondé ton entreprise, Monsieur Cocktail, avec de l’ambition à revendre. Depuis, tu as accumulé les marques de récompenses, dont les titres «Meilleur mixologue de l’année 2018» aux Lauriers de la gastronomie québécoise et «Meilleur livre cocktail au monde» aux International Gourmand Awards en 2017, car on doit mentionner en plus que tu es également l’auteur de cinq livres. Parle-nous des valeurs de ton entreprise et de ce qui t’a motivé à écrire des livres sur le sujet?
«J’ai fondé Monsieur Cocktail en novembre 2015 sans objectif précis, sans but apparent, mais surtout, sans rien savoir sur l’entrepreneuriat. Je savais que je voulais démocratiser le cocktail au plus grand nombre, et que je désirais permettre à tout un chacun de faire un cocktail de pro à la maison en toute simplicité, un peu comme Ricardo a rendu la cuisine à la maison si accessible à tous.»
«Ce n’est que deux ans plus tard, en 2017, que je me suis rendu compte que mon “projet” était rendu beaucoup plus que cela et que je devais vite apprendre à devenir entrepreneur. Pour moi, la valeur première de notre entreprise est le rêve, car le rêve a toujours été d’une importance capitale à mes yeux: j’ai rêvé de trouver ma passion et mon chemin à 30 ans, j’ai rêvé d’une entreprise, d’un milieu de travail meilleur pour mes équipes.»
«Rêver à un monde meilleur, et redonner un pourcentage de notre chiffre d’affaires aux causes qui permettent aux gens de rêver à nouveau (Rêves d’enfants, la recherche contre les maladies, etc.) est ce qui nous motive à nous lever le matin. En ce qui concerne tous ces ouvrages et ces récompenses, ça fait partie de ma personnalité: je suis un artiste intense, sans compromis; je fais des compétitions, ou bien j’écris des livres avec mon cœur.
Je veux offrir quelque chose qui va vraiment avoir un impact dans le quotidien des gens.»
Ce mois-ci, tu as fait paraître ton dernier-né aux Éditions La Presse, Tout sur les gins du Québec, au sein duquel on retrouve 210 recettes de cocktail au gin, 145 fiches de dégustation, ainsi qu’un système de profils aromatiques, une roue des saveurs et bien plus. C’est la Bible du gin, dis donc! Avec ce livre, tous les amateurs de gin pourront enfin trouver leur compte. Peux-tu nous mettre un peu l’eau à la bouche et nous en parler brièvement?
«Ce livre, comme tout le reste, est un rêve né en avril 2020, aux balbutiements de la pandémie. Je me demandais ce que je pouvais offrir, à mon échelle, puisque je ne sauve pas des vies et que je ne travaille pas dans le réseau de la santé. Mon talent à moi, c’est les cocktails: je me suis donc mis à publier tous les jours des chroniques vidéo en ligne.»
«Les plus populaires étaient celles où j’analysais des spiritueux. Je me suis rendu compte qu’il y avait 120 gins québécois sur le marché, alors qu’en 2015, il n’y en avait que 5 ou 6. Devant ce choix gigantesque, j’ai perçu en ligne que les gens ne savaient plus trop où donner de la tête. Ce livre est donc la réponse à la fameuse question: “Kossé que je fais avec ça?”»
«C’est à la fois un guide de dégustation, un livre de recettes cocktails, mais surtout un outil pour mieux apprécier chaque gin (avec quel sirop, quel tonic, quel ingrédient), définir s’il correspond à nos goûts avant l’achat avec un système de profil de saveurs et, finalement, après des mois de tests, quels sont pour chaque gin les trois cocktails classiques avec lesquels un gin précis sera à son meilleur.»
Tu as eu l’idée de génie de t’entourer d’une équipe de choix pour l’élaboration de ce beau livre superbement illustré, notamment avec Baptiste Gissinger (maître distilleur fondateur d’Expédition Gin), Lukas Lavoie (fondateur de la plateforme Voyages autour du gin), Maxime Coubès (mixologue réputé et fondateur du site Ma Buvette) et Mélanie Gagné (créatrice de saveur chez Monsieur Cocktail). Comment en es-tu venu à faire la rencontre de ces charmantes personnes et qu’est-ce qu’elles ont su apporter de positif à cet ouvrage?
«En avril 2020, lorsque l’idée a germé en moi et que j’ai téléphoné pour la première fois à la gang de La Presse, j’ai sorti une feuille, un crayon et je me suis attablé dans ma cuisine pour commencer à goûter. Sous la douche, je faisais la table des matières du livre dans ma tête et je me suis vite aperçu que l’ouvrage que j’avais en tête était impossible à réaliser seul, et que ce n’était qu’en m’entourant d’une équipe aux forces complémentaires que le meilleur ouvrage possible pourrait en sortir.»
«J’ai immédiatement enrôlé Mélanie, parce qu’elle pense comme moi, et que nous travaillons ensemble depuis tant d’années. C’est une collaboratrice incroyable qui ne recule devant aucun obstacle. Puis, il me fallait un “sommelier des gins”, un passionné fou qui rêvait aux aromates dans son sommeil: Lukas. Nous nous sommes rencontrés autour d’un café pour la première fois en février 2021, et ce fut le coup d’envoi définitif du projet.»
«Par la suite, il me fallait le nez et la connaissance d’un distillateur, d’un parfumeur: Baptiste est toujours aux quatre coins de la planète, mais la pandémie l’a forcé à rester au Québec. Il m’a proposé de se joindre à nous pour la dégustation, et je l’ai immédiatement attaché sur sa chaise! (rires)»
«Enfin, je considérais avoir fait le tour des cocktails durant mes précédents ouvrages et je désirais un regard neuf pour la création des recettes originales du livre: Max est venu naturellement à mon esprit, car il possède une imagination rare et un intérêt marqué pour les spiritueux du Québec. C’est vraiment cette alliance entre plusieurs cerveaux d’experts qui, je crois, rend ce livre encore plus unique en son genre.»
Et si tu devais recevoir la personnalité qui t’a le plus marqué dans ta vie, qu’elle soit toujours en vie ou disparue, on se permet de rêver un peu!, qui serait-elle et quel gin oserais-tu lui faire goûter durant l’apéro, histoire de marquer des points à ton tour?
«Je dis souvent que j’aimerais recevoir James Bond pour lui faire comprendre qu’un vrai Martini ne doit jamais être shaké! (rires)»
«Sans blague, je recevrais à nouveau mes premiers clients au bar, mais aussi à cette boutique éphémère que j’avais lancée fin 2015. Pour me rappeler où tout cela a commencé, pour me rappeler pourquoi je fais ce métier merveilleux, et ce qui leur fera plaisir à eux, pas à moi.»
«J’aimerais les servir à nouveau pour me rappeler le privilège d’être en affaires, et celui d’avoir leur confiance pour leur faire vivre des moments de plaisirs simples et délicieux à la maison. Une entreprise, la publication d’un livre, ça peut vite devenir un Excel rempli de chiffres. Mais derrière tous ces chiffres, il y a des humains qui les font vivre, qui croient en ce que l’on fait.»
«Je sais, ma réponse peut sembler étrange, bien sûr que j’aimerais rencontrer Frank Sinatra, par exemple! Mais le plus important, je pense, c’est de se souvenir de ceux qui sont là, maintenant. Et partager le plus de “moments cocktails” avec eux, pour célébrer notre bref passage sur cette planète. C’est selon moi le plus grand rêve à réaliser encore et encore.»