LittératureDans la peau de
Crédit photo : Julie Artacho
Patrice, on est ravis de t’accueillir pour la toute première fois à cette série d’entrevues à saveur littéraire! Pour celles et ceux qui ne te connaissent pas, tu es né en 1971 à Louiseville et, après des études collégiales en sciences de la nature, et même une session à la Polytechnique, tu t’es dirigé à l’Université de Montréal où tu as eu l’appel de la littérature, avant de devenir enseignant en Lettres. À quand remonte ton amour des mots, et te rappelles-tu à quel moment tu as eu la certitude que tu voulais devenir écrivain?
«Tout est arrivé en même temps, soit durant l’été entre le cégep et l’université. Alors que je n’avais à peu près jamais lu de ma vie, je me suis mis à le faire de façon compulsive (cela n’a jamais cessé depuis). Pourquoi? Je ne sais pas trop; c’est arrivé comme ça.»
«J’ai quitté Polytechnique, parce que je voulais écrire, alors je suis allé étudier en Lettres. Je ne me voyais pas prof de cégep, mais écrivain – c’était complètement naïf, voire stupide, bien sûr… en même temps, ça a fini par fonctionner! J’écrivais beaucoup alors, mais de manière erratique.»
«Il a fallu pas mal de temps avant que je produise quelque chose de valable. Mais c’était parti.»
Fort de huit livres publiés en 11 ans, un premier recueil de nouvelles, Je suis Sébastien Chevalier (éditions Rodrigol, 2009), six romans publiés chez Héliotrope – dont trois qui complètent une trilogie lisboète, Le sermon aux poissons (2011), Nina (2012) et L’enterrement de la sardine (2014) –, sans oublier les joyaux Excellence poulet (2015), Cinéma royal (2017), La danse de l’ours (2018) ainsi qu’À propos du Joug (2019), tes efforts ont été récompensés par le Prix Ringuet, à titre de finaliste, et par le Prix littéraire des collégiens. Félicitations! Comment décrirais-tu ton univers littéraire, entre récits tantôt haletants, tantôt ludiques, toujours lucides, où la frontière entre la fiction et la réalité a souvent tendance à s’embrouiller?
«La frontière entre réalité et fiction est toujours floue. Notre réalité est peuplée de fictions. Dans mes récits, j’aime le souligner: c’est un des fondements de la littérature. Voilà pour la lucidité.»
«Je m’emploie du reste à représenter le monde de manière réaliste, plantant le récit dans des lieux qui existent, qu’on arpente, qu’on découvre et redécouvre. Je fais en sorte qu’un visiteur-lecteur puisse suivre mon protagoniste dans la ville, battre ses sentiers.»
«Dans Rapines, Naples existe, «la vraie Naples» (bien que Naples soit multiple), Nicola de l’enoteca et Francesco le cafetier sont mes amis, ils existent, d’autres aussi, dont j’ai changé les noms, mais qui n’en existent pas moins.»
«Le brouillage n’est pas tant un jeu qu’une manière de montrer le réel. Ou d’en fabriquer et d’assembler des morceaux pour produire du texte.»
Le 6 mars, c’est au tour des Éditions XYZ de publier ta plus récente œuvre, un roman, tu l’as dit ci-haut, intitulé Rapines et à travers lequel une question demeure: «Comment naît un récit, et plus encore, un récit criminel?» Cette interrogation tiraille les personnages qui peuplent cette histoire se déroulant à l’enoteca Scagliola, dans le centre de Naples, où le lecteur fait la rencontre de P., un employé de banque désabusé, d’Eduardo, un auteur dramatique, et de Filumena, une Napolitaine au passé trouble. Tous trois ont l’esprit occupé par «une histoire inspirée d’un fait divers non résolu: le vol d’une statue du Christ d’un autel votif». De quelle façon naît une histoire en devenir dans ta tête, et d’où t’est venue l’inspiration pour celle-ci?
«On en revient à l’influence de la réalité. À l’été 2022, j’étais à Naples et voulais écrire un texte sur cette ville fascinante. Au début, je voulais essentiellement représenter un lieu – Naples est une espèce d’aleph, d’infini compacté, vaste bien que restreint – tout lieu a ses limites, bien qu’on ne sache pas toujours exactement où elles se trouvent.»
«Or, je me suis rapidement rendu compte que j’étais en train de m’abîmer dans des considérations pseudophilosophiques quant à l’impossibilité de la description exhaustive, bref, le genre de chose qui n’intéresse personne d’autre que moi (et quelques philosophes). J’ai donc inventé des personnages. Mais il me manquait encore une histoire.»
«Une amie me parla alors du vol d’une statue du Christ d’un autel votif à proximité du centre historique: le voleur avait été filmé, commettant son méfait, par des caméras de surveillance. Je n’avais pas envie de raconter cette histoire dont on ne savait, au-delà des images, que peu; j’en suis venu à mettre en scène l’invention de l’histoire du voleur par les personnages que vous présentiez en introduction.»
«C’est comme ça que l’histoire de Rapines est née, qui raconte la naissance de l’histoire du voleur – et par conséquent, peut-être malgré moi, l’histoire du vol.»
Avec Rapines, roman qui bénéficiera d’un lancement lors d’une causerie à la Librairie Raffin de la Plaza Saint-Hubert le mercredi 12 mars, tu signes «un roman audacieux qui déconstruit le genre policier avec une virtuosité rare» qui pique la curiosité et qui touche la corde sensible autant des amateurs de polars que des lecteurs en quête d’une aventure littéraire sans précédent. En quoi cette nouvelle parution sur la scène littéraire québécoise a été un défi pour l’écrivain en toi?
«Un nouveau texte est toujours un défi. J’ai la conviction que, tout en faisant toujours un peu la même chose, il faut essayer de faire autre chose, d’aller où on ne m’attend pas, où je ne m’attends pas moi-même.»
«Après avoir écrit trois romans qu’on peut associer au polar, je voulais aller ailleurs. Il me semble que le polar traditionnel, dans toutes ses déclinaisons, on en a fait le tour un peu. Il a beau s’agir d’un genre ouvert, on s’y embourbe trop souvent. Il ne s’en trouve pas moins en son cœur un élément quintessentiel: qu’on raconte l’histoire d’un meurtrier en série (ça c’est ennuyeux!) ou la recherche d’un téléphone perdu, j’aime que le récit propose à son lecteur quelque chose qui s’apparente à une enquête.»
«Dans le cas de Rapines, les protagonistes, et avec eux le lecteur (cette entité obscure), cherchent une histoire – et se laissent emporter par elle. Ça peut paraître minimaliste, mais le résultat, au contraire, est plutôt baroque. Ce n’était pas prévu, mais j’y reviens toujours: j’ai un esprit baroque.»
Notre petit doigt nous dit que tu sembles être un friand amateur d’intrigues à la fois sombres et vertigineuses. Mais s’il y a un thème que tu n’as pas encore exploré par le biais de l’écriture, quel est-il, et… peut-on s’attendre à le découvrir dès ta prochaine parution? Sur ce, bon succès à toi, et à bientôt!
«Je ne me suis jamais adonné au thriller. Normalement, c’est un genre qui ne m’intéresse que peu, à tout le moins je n’ai jamais eu envie d’en écrire un. Mais, il y a déjà quelques années, j’ai découvert l’œuvre de Patricia Highsmith. J’aime ses intrigues décalées, loufoques.»
«Il y a deux ans, j’ai visité un ami au Cap-Vert. Nous avons passé quelques jours dans un village, au fond d’une baie, dont la seule route, l’année précédente, s’était effondrée. Les habitants s’étaient donc retrouvés prisonniers du lieu durant plusieurs semaines, soit jusqu’à ce qu’on procède à des réparations de fortune.»
«J’ai imaginé que ce village ferait un bon lieu pour un roman à suspense: qu’est-ce qu’on fait quand on se retrouve ainsi enfermé avec des gens qu’on aime trop, ou pas assez?»
Rapines de Patrice Lessard est présentement disponible en librairie au coût de 25,95 $ (papier) ou 18,99 $ (ePub et PDF). Pour découvrir nos précédentes chroniques «Dans la peau de…», visitez le labibleurbaine.com/nos-series/dans-la-peau-de.
*Cet article a été produit en collaboration avec les Éditions XYZ.
Nos recommandations :
