«Dans la peau de…» Nadine Boucher, acrobate des mots et des haïkus – Bible urbaine

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«Dans la peau de…» Nadine Boucher, acrobate des mots et des haïkus

«Dans la peau de…» Nadine Boucher, acrobate des mots et des haïkus

Découvrez ses suites poétiques aux inspirations stellaires

Publié le 18 mars 2022 par Mathilde Recly

Crédit photo : Édith Descôteaux

Chaque semaine, tous les vendredis, Bible urbaine pose 5 questions à un artiste ou à un artisan de la culture afin d’en connaître un peu plus sur la personne interviewée et de permettre au lecteur d’être dans sa peau, l’espace d’un instant. Aujourd’hui, nous avons jasé avec l'autrice Nadine Boucher, qui vient de dévoiler son recueil «À l’ombre des pulsars: deux suites poétiques en haïkus» aux Éditions David. Accompagnés de photos de l'artiste Édith Descôteaux, ses poèmes abordent avec délicatesse le thème du deuil: celui de son premier grand amour, et celui de sa mère. On vous laisse découvrir...

Nadine, quel plaisir de faire ta connaissance aujourd’hui! Toi qui es doctorante en sociologie à l’Université Laval, tu te passionnes aussi pour la culture nippone, puisque tu as animé des ateliers de langue japonaise. D’où est venue ta fascination pour le pays du Soleil levant, ainsi que le plaisir de partager tes connaissances ?

«J’ai toujours aimé découvrir de nouvelles cultures, de nouvelles langues. Étant fascinée depuis l’adolescence par les mots – leurs sonorités, leurs formes, leurs forces d’évocation –, je me suis intéressée à différentes langues pour apprendre de nouveaux mots, de nouveaux sons. Peu à peu, j’ai compris que l’apprentissage d’une nouvelle langue me permettait également d’être en relation avec une autre façon de “voir” le monde.»

«Une langue étant à mes yeux l’expression du rapport à la réalité qu’entretient une collectivité, j’ai pris conscience que le regard que je portais sur le monde en venait à se transformer au contact d’une nouvelle langue. L’apprentissage de la langue japonaise m’a permis en l’occurrence d’effleurer une vision du monde complètement nouvelle. Comme cette langue ne renvoie à aucun référent latin (comme le français), j’ai dû réapprendre “à parler” et à observer le monde d’une autre perspective, ce qui m’a fascinée.»

«L’apprentissage de la langue japonaise a été aussi l’occasion de découvrir la culture nippone, pour laquelle j’ai développé un fort intérêt. Partager cette passion avec d’autres a été pour moi une très belle expérience.»

Le 1er mars, ton premier recueil À l’ombre des pulsars: deux suites poétiques en haïkus est paru aux Éditions David. Comment as-tu découvert cette forme d’expression poétique, et qu’est-ce qui t’a séduite à travers celle-ci?

«C’est justement lors de mon apprentissage de la langue japonaise que j’ai découvert la forme poétique du haïku. Le haïku est un poème bref de trois vers. Il est comparable à mes yeux à un ensemble de petits cailloux. Chacun des mots qui le composent est choisi minutieusement, pareil à un galet cueilli sur la grève. On cueille le caillou dans notre “grève intérieure” et on le dépose sur cette surface blanche et silencieuse qu’est le papier.»

«Si on lance le caillou dans l’eau, on entend un son bref et on voit – si l’eau est calme – des ondes se créer à la surface. Chacun des mots du haïku sculpte le silence qui l’entoure et laisse derrière lui une traînée d’ondes. Une fois dit, le haïku n’est plus qu’un “caillou tombé dans l’eau”, mais son passage a laissé derrière lui comme des ondes sonores à la surface de l’air. Le haïku n’est plus, et pourtant il résonne encore. C’est en cela que j’aime cette forme poétique.»

À-l'ombre-des-pulsars_Nadine-Boucher_couverture

Cet ouvrage est composé de «deux suites poétiques d’une rare intensité qui abordent chacune le thème du deuil» ; en l’occurrence, le suicide de ton premier grand amour, et la perte de ta mère, qui a souffert d’une maladie dégénérative. L’écriture a-t-elle été libératrice pour toi, ou au contraire pleine de défis ?

«J’ai commencé à lire et à écrire des poèmes à l’adolescence. Lors de cette période de ma vie, je gardais toujours avec moi du papier pour y griffonner mes textes poétiques. Le blanc du papier m’offrait un espace de liberté sur lequel je pouvais laisser se déployer mon imagination.»

«À la suite du suicide de mon amoureux, le recours à la poésie s’est fait naturellement. L’écriture de la suite poétique traitant du suicide de Joël, “L’ombre envolée des oiseaux”, s’est échelonnée sur deux ans. Son écriture s’est inscrite au cœur d’un processus de deuil qui a eu un effet thérapeutique.»

«Le même processus s’est répété lors de l’écriture de la seconde suite poétique, “La pulsation des étoiles”, après la perte de ma mère. En visitant “poétiquement” la peine suscitée par ces deux épreuves, j’ai pu la traiter avec mes ressources intérieures. Certes, les cicatrices sont toujours présentes. Mais peu à peu, elles se sont transformées, notamment sous l’effet de la poésie. Et des fleurs ont poussé autour d’elles.»

Si tu es partante, on aimerait beaucoup que tu nous présentes un haïku de ton choix, pour offrir la chance à nos lecteurs d’apprivoiser ta plume avant une plongée dans ton univers. Et puis, si tu pouvais nous expliquer les grandes lignes derrière cette création, ça serait encore mieux!

«Je vous présente deux haïkus issus de la suite poétique “La pulsation des étoiles”, écrite à la suite du décès de ma maman, qui a été mère au foyer toute sa vie. À soixante-cinq ans, elle a reçu un diagnostic de la maladie d’Alzheimer.»

«Cette maladie s’est immiscée en chacun des gestes quotidiens qu’elle avait répétés dans différents lieux de la maison: la préparation des repas et la vaisselle à laver à la cuisine, les promenades en poussette à l’extérieur, le répit au salon en fin d’après-midi, le repos au lit la nuit venue.»

«L’union de la maladie et de ce qui avait constellé son quotidien a toutefois donné naissance à une façon d’être qui ne s’était encore jamais dévoilée. Ses gestes devenaient peu à peu marqués d’une empreinte inconnue, comme s’ils étaient l’indice d’un univers lointain. Dorénavant, maman semblait vivre entre la terre et les étoiles.»

«La poésie qui avait sommeillé en elle toute sa vie, je présume – ce potentiel de création qu’elle portait en elle – s’est alors dévoilé en un amas de métaphores. Le corps de maman se synchronisait graduellement au rythme de ces astres émettant un rayonnement périodique, les pulsars. Et son cœur allait battre au rythme de la pulsation des étoiles.»

«égouttoir à vaisselle

maman y cueille

des débris de météores»

«des oranges

planètes lointaines

sèchent dans l’égouttoir»

Enfin, si tout était possible et que tu pouvais rencontrer un.e auteur.e de la littérature nippone – encore en vie ou décédé.e – pour échanger avec lui/elle le temps d’un repas, qui choisirais-tu et de quoi parleriez-vous ensemble?

«Matsuo Bashō (1644-1694)! C’est à travers sa poésie que j’ai découvert la forme poétique du haïku. Lorsque j’apprenais la langue japonaise, j’essayais de mémoriser certains de ses haïkus. J’étais fascinée par l’idée que les mots que je récitais alors étaient les mêmes que ce poète avait utilisés des siècles auparavant, pour évoquer des moments suspendus dans le temps.»

«Je crois que je serais si impressionnée par sa présence, que je préférerais ne rien dire lors du repas que nous partagerions. Peut-être mangerions-nous en silence pour entendre la nature autour de nous se déployer…. Qui sait si cela permettrait alors l’esquisse d’un poème?»

Pour découvrir nos précédentes chroniques «Dans la peau de…», visitez le labibleurbaine.com/nos-series/dans-la-peau-de.

*Cet article a été produit en collaboration avec les Éditions David.

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