LittératureDans la peau de
Crédit photo : Melania Avanzato
Jacques, c’est un honneur de vous recevoir à cette série d’entrevues! Vous êtes un écrivain de romans policiers français dont la réputation n’est plus à faire. En effet, il suffit de se plonger au cœur de votre bibliographie pour réaliser que vous n’avez rien à envier aux plus grands! Votre flamme pour l’écriture s’est déclarée à la fin de votre vingtaine. Dites-nous, qu’est-ce qui vous a toujours attiré avec ce passe-temps devenu aujourd’hui un métier?
«Au départ, il y a eu la découverte du roman quand j’avais sept ou huit ans. Je crois que le premier auteur qui m’a fasciné, celui qui me faisait oublier les interminables heures de voiture pour aller en vacances avec mes parents – qui avaient pas mal la bougeotte en ce temps-là – c’est Edgar Rice Burroughs avec la série de Tarzan et celle de John Carter. Et puis, j’ai plongé avec délices dans Agatha Christie, Arthur Conan Doyle, Boileau-Narcejac et, encore un peu plus tard, Frédéric Dard.»
«Je pense que le cœur d’un romancier est en premier lieu celui d’un lecteur. Ce plaisir de se glisser dans une histoire imaginaire est le même pour les deux, à la différence que l’écrivain mène le bal. J’ai cogité à ma première histoire noire, une nouvelle d’une dizaine de pages, un jour où j’avais oublié mon livre à la maison, alors que j’étais enfermé dans le métro pour un bon moment.»
«Le récit a donc pris corps dans les sous-sols de Paris, et je l’ai écrit en deux ou trois jours, raturant, reprenant, recommençant sans cesse jusqu’à ce que j’obtienne des personnages qui me séduisaient, une intrigue qui n’était plus bancale et, surtout, une fin qui surprendrait le lecteur si, un jour, j’en avais quelques-uns…»
De l’écriture de nouvelles (Alfred Jarry est mort) à l’adaptation d’une histoire en bande dessinée (Le Joyau du Pacifique), jusqu’à la parution de nombreux romans à succès (La Pieuvre, L’Aigle noir ou encore Ce qu’il faut de haine, notamment), force est d’admettre que vos méninges sont constamment en activité. D’où vous vient votre inspiration – et votre fascination – pour ces histoires criminelles captivantes?
«Les sources qui nourrissent mes romans sont, je crois, les mêmes que celles de nombre de mes camarades de plume. Il suffit d’ouvrir un journal, d’écouter une conversation dans un café, de prendre la route, de passer un week-end en famille ou avec des amis, pour qu’une idée surgisse de nulle part.»
«De nulle part, en vérité, je l’ignore. J’aime songer que les écrivains, au même titre que les musiciens, les peintres, les sculpteurs, et j’en passe, sont des éponges à émotion aussi bien du côté masculin que féminin. Je mets le mot “émotion” au singulier, parce que, le plus souvent, il s’agit d’un cocktail contradictoire qu’on est en peine de décrire avec précision au moment où il vous saute au visage.»
«Il faut parfois un peu de temps pour le savourer à sa juste valeur et parvenir à en extraire les saveurs les plus subtiles. J’aime me laisser surprendre par une idée de personnage, de situation ou de coup de théâtre, même s’il ne colle pas au roman que je suis en train d’écrire. Je le mets bien soigneusement de côté, parce que je sais déjà qu’il me servira, à un moment ou à un autre. J’ai, dans mon ordinateur, un dossier spécial fourre-tout où je retourne fouiner à la fin d’un livre, histoire de me remémorer ce qui m’a fait tilter à l’époque.»
«Un autre exercice que j’affectionne est de ramasser un journal abandonné et, parmi toutes les informations étalées dedans, de piocher de quoi construire une intrigue. Ça ne fonctionne pas toujours, mais ça stimule les neurones en période de repos entre deux périodes d’écriture.»
Récemment, Fleuve Éditions ont levé le voile sur votre nouveauté, qui est présentement en vente en librairie. Intitulé Le seul coupable, ce thriller a suscité d’autant plus d’enthousiasme chez vos fans puisqu’il met en scène l’ancien commandant de police Paul Kessler. Ce dernier, à la suite d’un incendie criminel qui s’est produit près de chez lui, dans le Var, n’aura d’autre choix que de se replonger dans une enquête qu’il croyait pourtant scellée depuis dix ans. C’est que l’acte de Laurence Dumas, mère de Margaux, une jeune fille assassinée près de Lyon en 2014, prouve hors de tout doute que Kessler, à l’époque, a pu commettre une erreur en accusant à tort l’ex-petit ami de la victime… Sans trop nous dévoiler de détails majeurs, bien sûr, parlez-nous des défis auxquels sera confronté votre protagoniste dans cette nouvelle enquête.
«Le cœur de ce roman, c’est la culpabilité. Celle qui a causé beaucoup de tort et qu’on ne peut pas réparer, parce qu’il est trop tard. Mais pas seulement. Dans cette histoire, la culpabilité est omniprésente. Chacun et chacune est coupable de quelque chose d’une façon ou d’une autre: de s’être tu, de n’avoir pas cherché à aller plus loin, d’avoir menti, d’avoir trompé les siens, d’avoir accusé, frappé, assassiné…»
«Dès la lecture du titre, on se doute qu’il n’y a pas qu’un seul coupable, en réalité. Et ce sentiment est un venin implacable. Une fois qu’il vous a mordu le cœur, vous êtes perdu. Paul Kessler, en tant qu’ancien flic chevronné, réputé pour sa probité et sa droiture, ne peut rester insensible à la révélation que, dix ans plus tôt, il a commis une terrible erreur. Quelle est sa culpabilité, à lui? Au lecteur d’en juger. Mais il a sa part de responsabilité, dans ce drame, et il est incapable de l’accepter.»
«Seulement, il est out depuis des années. Il n’a plus d’accès aux dossiers criminels, aux recherches ADN, aux traçages téléphoniques, aux relations avec les magistrats ni avec son ancienne équipe, dont la nouvelle patronne le rejette. Du coup, il se retrouve seul face au vide qu’il a lui-même causé une décennie plus tôt.»
«Cette construction m’a permis de travailler cette enquête en partie “à l’ancienne” en utilisant des techniques d’investigation libérées des sempiternelles expertises scientifiques incontournables dans les investigations criminelles actuelles. Il était important que Paul, malgré son isolement, puisse tout de même tirer profit de certains appuis. Un gendarme plutôt méfiant et une jeune flic dégourdie m’ont offert l’occasion de lui donner la réplique. Et le reste de l’équipe a suivi…»
Et s’il y a bien une seule bonne raison pour convaincre nos lecteurs et lectrices de courir en librairie se procurer Le seul coupable…?
«Dans L’Aigle noir, paru en 2022, j’ai construit avec Paul Kessler un personnage que je voulais récurrent. Je savais déjà qu’il allait m’accompagner longtemps dans mes prochains romans. J’aime les caractères que je peux disséquer à l’infini, avec un nouveau scalpel à chaque fois, sans qu’il ait encore complètement cicatrisé de la précédente opération. Le seul coupable joue sur un côté très affirmé de sa personnalité, mais il en a d’autres que je garde au chaud pour la suite.»
«Avec cette précédente parution, on l’a découvert opiniâtre, observateur, allergique à l’alcool depuis que son fils a trouvé la mort après une soirée de colère arrosée. Dans Le seul coupable, il se révèle fragile, perturbé d’avoir été à l’origine de cette terrible erreur judiciaire, et prêt à se remettre très sérieusement en question afin d’en avoir le cœur net et de faire jaillir la lumière sur ce crime. Il est bourrelé de remords et de culpabilité, et il enrage de se retrouver impuissant à réparer les dégâts dont il est en partie la cause. Heureusement, il y a toujours une solution de rédemption, même si elle n’est pas tout de suite à sa portée. Elle va lui coûter cher, mais ce n’est que justice, après tout, n’est-ce pas?»
«Le seul coupable m’a permis de marquer le trait sur sa personnalité avant de retravailler celle d’Alice dans l’autre série que j’ai initiée chez Fleuve Éditions avec Ce qu’il faut de haine. Après le prochain titre prévu à l’automne prochain, où elle sera seule pour la seconde fois (roman déjà écrit), je prévois de générer leur rencontre dans le thriller que je vais commencer à écrire en janvier, et qui sera le dix-neuvième.»
Histoire de se laisser sur une note légère et, pourquoi pas ludique, auriez-vous une anecdote savoureuse, entendue de la bouche d’un ∙ e lecteur ∙trice lors d’un Salon du livre, à nous raconter? Allez, faites-nous rire. Sur ce, à une prochaine!
«Aux derniers Quais du polar, à Lyon, je participais à une table ronde sur le thème de l’angoisse et de l’horreur. Or, si j’aime travailler l’angoisse dans mes livres, ce n’est pas vraiment le cas avec l’horreur, ou bien à de très rares exceptions près. Au milieu de la rencontre, j’ai justement évoqué cette facette de mon travail, et cette réserve qui n’est pas un choix conscient, mais une démarche plutôt instinctive depuis mes débuts. En effet, une fois qu’on a touché l’horreur avec son clavier, je crois qu’il est difficile d’éviter la surenchère et d’en perdre l’effet initial. Alors, je me suis toujours tenu éloigné de ce genre-là, et encore plus à mes débuts.»
«Là, une lectrice m’a interpellé en me faisait remarquer que j’avais pourtant écrit une affreuse scène de torture dans La Pieuvre, mon sixième livre, qui date de 2015. J’avoue que cela m’a beaucoup surpris sur le moment, puisque j’étais certain de ne pas avoir cédé à ces sirènes-là. Et puis, j’ai compris. Dans une scène particulièrement angoissante, effectivement, le tueur annonce à une greffière de tribunal ligotée par ses soins qu’il va lui faire subir un certain nombre de trucs horribles si elle ne lui révèle pas ce qu’il veut savoir. Un blanc passe entre les lignes, puis on le voit rajuster sa cravate avant de se déporter devant le miroir, parce que le rouge le gêne un peu, derrière lui. On réalise alors qu’elle n’a donc rien dit et que ça s’est très mal passé pour elle. Et en quittant la pièce, le meurtrier dépose un œil en évidence pour les policiers, histoire de ponctuer sa sortie de la façon la plus sinistre.»
«En fait, cette scène de torture qui avait autant marqué cette lectrice, je ne l’avais vraiment pas écrite. C’est elle qui l’a fait avec les éléments que je lui avais donnés. J’en ai été ravi… ;)»