«Dans la peau de…» Éric Thierry, historien français spécialiste de la Nouvelle-France

Éric, c’est un plaisir de vous recevoir à cette série d’entrevues! Vous êtes un historien français, et votre spécialisation, c’est l’histoire de la Nouvelle-France, et la littérature des voyages. Dites-nous d’abord comment vous vous êtes découvert cette passion pour l’histoire, et comment vous en êtes venu à développer cet intérêt accru pour celle de la Nouvelle-France, plus particulièrement?

«J’ai grandi en Picardie, à Villers-Cotterêts, à l’ombre du château que le roi François I^er y a fait construire et où il a signé, en 1539, la fameuse ordonnance imposant l’usage du français dans tous les documents administratifs. En côtoyant tous les jours des traces laissées par la Renaissance, je me suis intéressé au XVI^e siècle, puis au XVII^e.»

«Mon intérêt pour la Nouvelle-France vient de l’émigration de membres de ma famille au Québec à l’occasion des Jeux olympiques de Montréal de 1976 et des évocations enthousiastes de leur nouveau pays. Quand j’étais étudiant en Histoire à Reims au début des années 1980, j’ai également eu la chance de pouvoir suivre un cours consacré à l’histoire de la Nouvelle-France, ce qui est resté exceptionnel en France.»

«Mon intérêt pour les débuts de la présence française en Amérique du Nord a encore grandi lorsque j’étais en poste au Lycée français de New York au tout début de ma carrière d’enseignant.»

Votre feu intérieur pour l’histoire vous a mené à la rédaction d’ouvrages sur vos thèmes de prédilection. En 2001, vous avez publié une biographie sur Marc Lescarbot, un homme de plume au service de la Nouvelle-France, en 2008, un essai sur La France de Henri IV en Amérique du Nord, et en 2019, une édition annotée des Œuvres complètes de Champlain. Parlez-nous brièvement de ces découvertes passionnantes que vous avez faites dans le cadre de vos recherches et qui ont inspiré vos écrits.

«Marc Lescarbot est un pionnier de l’Acadie, où il a séjourné aux côtés de Champlain en 1606 et 1607. Il est aussi devenu le premier historien, le premier poète et le premier dramaturge de la Nouvelle-France. Je lui ai consacré ma thèse de doctorat. J’ai pu ainsi contribuer à mieux faire connaître cet extraordinaire écrivain.»

«Lescarbot ayant été le promoteur des fondations de l’Acadie et de Québec, je me suis ensuite intéressé à celles-ci et je les ai replacées dans le contexte de la fin des guerres de religion et du règne de Henri IV, d’où mon ouvrage intitulé La France de Henri IV en Amérique du Nord.»

«Cela m’a conduit tout naturellement à approfondir mes recherches sur Champlain, un acteur essentiel de ces débuts de la Nouvelle-France.»

Le 30 avril, les éditions du Septentrion ont fait paraître Samuel de Champlain: aux origines de l’Amérique française, une biographie renouvelée qui offre un éclairage inspirant sur celui qu’on surnommait «le père de la Nouvelle-France». Qu’on se le dise: votre inspiration à publier cette première biographie complète de ce personnage plus grand que nature vient du fait que vous avez découvert des écrits inédits et des pièces d’archives inexploitées. Expliquez-nous, car on est pas mal curieux: comment avez-vous mis la main sur ces documents, et pourquoi cet homme – qui a, de son vivant, été le fondateur de la Ville de Québec et explorateur de l’Acadie, en plus d’être navigateur, cartographe, soldat, géographe, commandant et auteur de récits de voyages! – vous fascine autant?

«En préparant des éditions annotées des ouvrages imprimés de Champlain, j’ai eu la chance de retrouver plusieurs de ses écrits, restés manuscrits et inédits, à la Bibliothèque nationale de France et dans les archives du ministère français des Affaires étrangères. Cela m’a permis de faire paraître Les Œuvres complètes de Champlain en 2019. On peut ainsi y lire le dossier préparé par Champlain avant son premier voyage dans la vallée du Saint-Laurent en 1603, et le récit de la prise de Québec par les Anglais en 1629 qu’il a confié à l’ambassadeur français à Londres à son retour en Europe.»

«Au cours de mes recherches, j’ai pu également retrouver des actes notariés et judiciaires éclairant la vie et l’œuvre de Champlain, comme une description de la maison de Brouage où il a grandi et, plus surprenant encore, un témoignage sur sa contribution à la fondation de New York en 1624.»

«Champlain a été un “père de la Nouvelle-France” particulièrement actif qui a laissé beaucoup de traces dans les bibliothèques et les dépôts d’archives.»

À la lumière de vos écrits, à travers lesquels vous explorez l’environnement familial, social, politique et religieux de Champlain, qu’espérez-vous transmettre à vos lecteurs et lectrices avec cette biographie «écrite par un historien français»?

«J’espère montrer à mes lecteurs et lectrices combien Champlain a été un homme de son temps.»

«Il a vécu à l’époque des guerres de religion, à une époque particulièrement angoissante. Son rêve n’a pas seulement été de trouver le chemin de la Chine à travers le continent nord-américain, en remontant le Saint-Laurent jusqu’au lac de Zubgara, puis en gagnant le golfe de Californie par la rivière de la Gada. Il a aussi voulu bâtir une Amérique métissée, en favorisant les alliances des Français avec les nations autochtones et en encourageant les mariages mixtes.»

«Champlain comptait sur les Autochtones pour régénérer l’ancienne France et en faire naître une nouvelle en Amérique du Nord. Acteur de la Réforme catholique, il avait bien sûr des préoccupations religieuses. Il croyait profondément en l’humanité des Autochtones et pensait qu’ils pouvaient devenir de parfaits chrétiens.»

On se permet de rêver, vous le voulez bien? Et si vous aviez la chance de revivre un événement marquant de l’histoire québécoise, au cours duquel vous croiseriez bien évidemment la route de Samuel de Champlain, qu’aimeriez-vous lui dire pour engager la discussion, et peut-être, vous en faire un ami ou un compagnon de voyage, pourquoi pas?

«Samuel de Champlain a beaucoup souffert d’avoir dû laisser Québec entre les mains des Anglais en 1629. Si j’avais la possibilité de vivre à ses côtés cet événement, j’aimerais lui rappeler le rôle déterminant qu’il a joué dans les débuts de la Nouvelle-France et le consoler en lui disant qu’il n’a pas démérité et qu’il restera une figure marquante de l’histoire québécoise.»

«En fait, il a montré la voie à Paul de Chomedey de Maisonneuve et à Jeanne Mance, qui fondèrent Montréal en 1642. Il a été un acteur essentiel de ce que l’on appelle “l’épopée mystique” des débuts de la Nouvelle-France, un de ces fondateurs, chrétiens sincères, auxquels la société québécoise doit certaines de ses valeurs bien vivantes, son souci de l’ouverture aux autres et de la communion entre les hommes.»

Samuel de Champlain: aux origines de l’Amérique française d’Éric Thierry sera disponible en librairie à compter du 9 avril au coût de 60 $ (papier) et 19,99 $ (PDF ou ePub). Pour découvrir nos précédentes chroniques «Dans la peau de…», visitez le labibleurbaine.com/nos-series/dans-la-peau-de.

*Cet article a été produit en collaboration avec les éditions du Septentrion.