LittératureDans la peau de
Crédit photo : Gracieuseté Les éditions du Septentrion
Daniel, quel plaisir de vous accueillir pour votre baptême avec nous à cette série d’entrevues à saveur littéraire et historique! Vous détenez une maîtrise en histoire de l’Université de Sherbrooke et, depuis de nombreuses années, vous vous intéressez au jeu de crosse et à ses origines autochtones. D’ailleurs, vous avez vous-même pratiqué ce sport pendant une quarantaine d’années, ce n’est pas rien! D’abord, parlez-nous de votre intérêt pour l’histoire, votre domaine d’études, et dites-nous ce qu’a éveillé en vous la pratique de ce jeu d’affrontement?
«Je considère l’étude de l’histoire comme primordiale pour bien comprendre notre société. Elle nous apprend à mieux nous connaître comme peuple et à faire des liens entre les différentes cultures qui nous composent. L’histoire nous permet souvent de déconstruire les préjugés négatifs au sujet d’autres cultures, en l’occurrence, dans ce cas-ci, les préjugés qui concernent les peuples autochtones.»
«Mes études se sont penchées particulièrement sur les rapports entre Autochtones et Blancs dans le sport de la crosse dans la région de Montréal au XIXe siècle. Je voulais comprendre les raisons de l’appropriation de ce sport par les Euro-Canadiens. Cela a éveillé en moi une curiosité envers la culture iroquoise, ce qui m’a permis d’entrer en contact avec un peuple fantastique dont j’ignorais complètement le fonctionnement interne.»
«J’ai constaté que le jeu de la crosse occupait une place centrale dans plusieurs facettes de leur culture.»
Bien plus qu’un passe-temps, la crosse, surnommée le «jeu du Créateur», «ce sport moderne pratiqué par des milliers de personnes sur plusieurs continents», est devenue pour vous une véritable passion, puisque le 11 mars dernier, les éditions du Septentrion ont publié en librairie votre ouvrage Du Tewaarathon à la crosse: rapport entre Autochtones et Euro-Canadiens dans le jeu de crosse du XIXe siècle, au sein duquel vous offrez un tour d’horizon archi complet de ce sport tant apprécié des Premières Nations. Qu’est-ce qui vous a motivé à vous lancer dans cette aventure tout en recherche et en écriture?
«Pour moi, ce n’était pas l’aspect technique du jeu qui m’intéressait au départ, mais vraiment de comprendre pourquoi les Euros-Canadiens avaient voulu s’approprier cet important rite autochtone. Ils semblaient vouloir adapter ce rite aux conventions des nouveaux sports de masse, qui étaient en plein processus d’institutionnalisation pendant la deuxième moitié du XIXe siècle.»
«J’ai tenté d’explorer l’évolution des rapports de deux peuples en cherchant dans quelle mesure la pratique de la crosse a contribué à faire évoluer la perception que les Européens avaient des Autochtones.»
À travers ce livre de 186 pages, vous examinez à la loupe «le processus par lequel les Canadiens de souche européenne se sont approprié un important rite autochtone en l’adaptant aux conventions des nouveaux sports de masse qui étaient en plein processus d’institutionnalisation pendant la deuxième moitié du XIXe siècle.» Dites-nous en plus à ce propos: on aimerait mieux comprendre les raisons pour lesquelles les Euro-Canadiens de l’époque étaient motivés à s’emparer de ce sport et à codifier ses règlements.
«La principale raison fut de se servir de ce sport comme expression d’une nouvelle identité nationale canadienne. Le grand responsable de ce projet fut le Dr William George Beers, reconnu aujourd’hui comme le fondateur de la crosse moderne. Il imposa au jeu de la crosse un développement scientifique. Il était convaincu qu’un sport pouvait contribuer à l’émergence d’un pays, comme le cricket en Angleterre.»
«À cette époque, le jeu de la crosse a pu servir au Canada d’agent de propagation culturelle avec l’expansion de son auditoire à l’échelle canadienne, notamment grâce aux journaux. La crosse a contribué à favoriser la naissance d’un sentiment national au Canada. Le meilleur exemple pour illustrer cette appropriation est la tournée d’exhibition de 1883 en Grande-Bretagne, qui avait pour objectif de stimuler l’immigration vers le Canada dans le but de développer les terres du Nord-Ouest canadien. Elle consistait également à exhiber l’œuvre “civilisatrice” de l’Église et de l’État auprès des Autochtones.»
«Il s’agissait, entre autres, d’annoncer aux Britanniques que le Canada avait développé une personnalité distincte et dynamique, symbolisée par ce sport autochtone qu’il avait adapté aux besoins de l’ère moderne.»
Pour nos lecteurs et lectrices qui sont moins familiers avec le jeu de la crosse, en quoi cet ouvrage pourrait-il éveiller une flamme d’intérêt en eux, un coup le livre refermé, selon vous?
«Les lecteurs développeront une meilleure connaissance et compréhension de la culture iroquoise, et découvriront un peuple formidable. Ils voudront peut-être en apprendre davantage sur les coutumes iroquoises et la “Société du don”, une société fondée sur le partage.»
«Et je souhaite qu’un jeune ou qu’une jeune historien∙ne ait le goût de poursuivre des recherches sur ce sujet qui me tient tant à cœur.»
À l’époque où les Mohawks pratiquaient le tewaarathon – à ce propos, c’est seulement dans les années 1630 que le nom d’origine française «crosse» est apparu –, ce sport, et bien des pratiquants l’ignoraient, a d’importantes fonctions à la fois spirituelle, sociale et politique. En effet, à l’époque, les guerriers jeûnaient, se purifiaient et s’exerçaient afin de rendre leur corps «présentable» devant le Créateur, d’où son surnom. Parlez-nous, en définitive, de ce «jeu médicinal» qui procure de nombreux bienfaits… et pas seulement physiques!
«Chez les Iroquois, le Tewaarathon faisait partie d’un rituel curatif. Les chamans utilisaient différents types d’approche pour guérir un malade. D’abord, ils utilisaient des plantes médicinales. Ensuite, en considérant les désirs du malade, ils avaient recours aux rituels de la magie. Un chaman pouvait organiser une joute de Tewaarathon pour guérir un membre de la tribu. Il faisait alors appel aux forces de la “mère Terre”.»
«Le chaman commandait une joute de crosse pour donner plus de force à sa médecine. La participation d’un grand nombre de membres de la tribu au rituel curatif s’explique par le fait que la “conscience d’un primitif” était liée à celle de la tribu tout entière. La maladie d’un individu n’était pas liée à lui seul: tous étaient nécessairement touchés.»
«Ainsi, la crosse avait une fonction sociale très importante.»