«Aime-moi» de Véronique Marcotte – Bible urbaine

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«Aime-moi» de Véronique Marcotte

«Aime-moi» de Véronique Marcotte

Faire un pacte avec l’enfant du Diable

Publié le 4 décembre 2011 par Éric Dumais

Crédit photo : VLB Éditeur

Étant l’une des premières auteures à avoir occupé, en 2005, la résidence d’écrivain Passa Porta à Bruxelles, en plus d’être metteure en scène et directrice artistique, Véronique Marcotte a bel et bien franchi la frontière entre l’ombre et la lumière. Dès la sortie de Dortoir des esseulés (1999) jusqu’à Tout m’accuse (2008), l’auteure a solidement imposé son style, une exploration audacieuse et consciencieuse des sujets liés aux troubles mentaux et à la fragilité du corps et de l’esprit. Aime-moi, son sixième roman, est l’histoire la plus choc qu’elle a écrit jusqu’à maintenant.

Une approche naturaliste

Un grand écrivain possède la force d’esprit et l’imagination nécessaires afin de mettre en mots et en images des évènements ayant ou non existé. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’histoire de la littérature a été marquée au fer blanc par différentes époques, différents mouvements littéraires, différents idéaux.

Vers la fin du XIXe siècle, en France, Émile Zola, l’auteur de Germinal et des Rougon-Macquart, a mis sur pied le naturalisme, un mouvement s’apparentant au réalisme, mais qui tend à prouver que le milieu dans lequel évolue l’individu influence de près son comportement, un peu comme l’a expliqué Jean-Jacques Rousseau, en 1762, avec son traité d’éducation intitulé Émile.

Ici, l’intention n’est pas d’affubler l’étiquette «naturaliste» à la démarche littéraire de Véronique Marcotte, mais bien de saisir ce qui l’a poussée à écrire un roman aussi noir, aussi dur, aussi réaliste qu’Aime-moi, dont la couverture, aussi noire que le jais, aussi naïve qu’un dessin d’enfant troublé, est déjà symptomatique du terrible drame qui attend le lecteur.

«Ma rencontre avec Maëlle venait tout bouleverser. Et l’empreinte qu’elle s’apprêtait à laisser sur moi allait s’avérer indélébile. Parce que, finalement, j’allais moi aussi vivre son histoire. Elle ferait partie de moi, de ma vie. Accepter d’entendre tout ça sans m’y perdre était impossible. Et le regard de Maëlle sur moi, ce regard noir brisé, ne me quitterait désormais plus.»

Aime-moi est le récit déchirant de Maëlle, une enfant démolie par un passé trouble. et les agissements pervers de parents adoptifs tortionnaires, mais aussi celui de Judith, une jeune femme aimable, qui s’éprend un peu malgré elle d’une grande compassion pour cette jeune fille maltraitée. Lorsqu’elle rencontre la jeune Maëlle dans un café, Judith est loin de se douter que sa vie est sur le point de basculer à ce point. Au départ, le récit tragique de cet «enfant du Diable» la touche assez pour qu’elle l’intègre dans sa propre existence avec Mamie, le copain Théo, l’oncle Roger et le poisson rouge, Gaston, acheté pour l’occasion. C’est une chance inouïe pour Maëlle d’enfin connaître un quotidien normal, exempt de croquettes pour chiens que son oncle l’obligeait à manger, d’agressions sexuelles commises en groupe, de meurtrissures ou de cicatrices infligées sur son pauvre corps d’enfant. Mais Judith était loin d’imaginer que Maëlle pouvait être troublée à ce point, assez, en tout cas, pour mentir effrontément et vouloir s’enlever la vie de multiples façons. Sera-t-elle assez forte pour insuffler un vent d’espoir dans la tête de Maëlle?

À la lecture d’Aime-moi, c’est de la pitié, de l’horreur et de la compassion qui s’inscrivent dans notre regard épouvanté. Véronique Marcotte possède cette force indescriptible, cette manière personnelle de bien raconter les choses, nous laissant ainsi totalement pantois devant autant de génie et de savoir-faire. Bien évidemment, l’auteure a fait des recherches, rencontré les personnes concernées, car ce récit, aussi troublant soit-il, n’est pas de la pure fiction; c’est une histoire vraie, réelle et palpable qui nous est offerte.

Le récit multiplie les points de vue narratifs, ce qui permet aux voix de Judith, de Maëlle et de l’auteure elle-même de raconter des fragments successifs de l’histoire, et ce, à tour de rôle. Ces différentes perspectives nous aident à mieux comprendre la pensée des personnages, tout en nous aidant à adopter le recul nécessaire afin de clarifier certains doutes nageant à contresens dans notre esprit. Bon gré, mal gré, le lecteur est entraîné dans cette histoire sordide, un peu comme une mère tient un enfant désobéissant, et c’est grâce à la plume légère mais savante de Véronique Marcotte que nous entrons, malgré nous, dans cet univers affolant, qui nous rappelle inlassablement que l’histoire que nous lisons en ce moment est vraie, qu’elle a déjà existé, que tout est en effet possible. Et, coup de théâtre, la chute du roman nous surprend tel un projectile reçu au hasard, car le lecteur doit inévitablement s’avouer vaincu devant autant d’ingéniosité.

Aime-moi est un pur délice pour les sens, une lecture parfois difficile, certes, en raison du sujet traité, mais le style sobre et la finale explosive vous forcera à dévorer tout cru ce merveilleux bijou de la littérature québécoise.

 

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