LittératureRomans québécois
Crédit photo : Anthony Delanoix @ Unsplash
Musique (2022) de Stéfanie Tremblay – Éditions La Peuplade
L’artiste Stéfanie Tremblay se remémore dans ce recueil de poèmes son initiation au milieu punk de sa région natale, le Saguenay. L’autrice rend cette sphère accessible: Musique est une épiphanie d’énergie et de tendresse qui fait pulser cette communauté. Les mots y coulent grâce à l’absence de ponctuation, le transformant en un immense déluge d’amour faisant du crowd surfing:
«[…] une veste du soir
une belle clôture
des barbelés
des fleurs
un kit de sueur
et la plus belle journée de ma vie»
Une de mes amies a qualifié ce texte de «lecture poétique trash de l’été». Trash, car sans ancrage. Des clichés photographiques de couleur rose fluo décorent le centre focal de Musique, à l’image des fanzines de l’enfance de l’autrice.
Croquées par Tremblay, ces photos tirées d’une exposition présentée à l’été 2021 sont un échantillon de son catalogue qui en comporte plus de dix mille.
Appréciation: ⭐⭐⭐⭐ ½
Trois réveils (2020) de Catherine Perrin – Éditions XYZ – Collection Romanichels
Catherine Perrin, animatrice de radio, nous fait le témoignage dans son premier roman Trois réveils du pouvoir de la musique. Forte de son diplôme au Conservatoire de musique de Montréal, Perrin décrit avec justesse les pièces symphoniques et le son des instruments.
Antoine, le personnage principal, est bipolaire. Il est traversé d’épisodes maniaques, durant lesquels il est convaincu de comprendre la transcendance de l’utilité de la musique. Elle exsude de lui. Son intensité rend difficile la relation avec le paternel. Néanmoins, ils partagent la même passion pour la musique classique.
La seule critique est l’abondance de termes superflus qui peuvent alourdir la lecture. Si vous désirez un livre qui vous plonge dans l’imaginaire d’un jeune homme talentueux atteint d’une maladie chronique, Trois réveils est pour vous.
Attention, je ne peux pas vous garantir qu’il n’y aura pas de larmes versées!
Appréciation: ⭐⭐⭐⭐
Critique de crowd: promenade nocturne du mosh pit aux nids-de-poule (2021) de Jolène Ruest – Bouc Productions
Jolène Ruest est renommée, dans la sphère musicale, pour son franc-parler et sa volonté de mettre de l’avant la scène féminine. Critique de crowd a d’abord été une émission sur les ondes de CISM 89,3 FM. Aujourd’hui, on a la chance de l’entendre sur les mêmes ondes rendre hommage à ces femmes à la voix éraillée dans «Jolène jase de gueuleuses».
Pour toute personne en mal de concerts, ce recueil est un réel bonheur. Les différentes étapes d’un spectacle y sont réparties: l’appel impatient de la scène, la première partie, l’entracte permettant de souffler et de se faire des amitiés, ou encore le rappel.
Je conseille vivement cette œuvre aux mélomanes. Elle m’a fortement évoqué l’effet cathartique et communautaire qui règne lors des concerts:
«en liesse
nous sommes nous
nous sommes foule
en rallumant les lumières
de ce blind date collectif
nous sommes réduits
à des coupons d’vestiaire […]»
Je n’ai rien à redire à propos de ce recueil de poésie, sinon qu’il est trop court!
Appréciation: ⭐⭐⭐⭐ ½
Grunge (2016) de Frédéric Généreux et Marc-André Poisson – Bouc Productions
Grunge est un recueil de réflexions sur l’authenticité du courant musical du même nom. Les deux poètes ont vécu dans le temps de Cobain et ressentent une désillusion face à ce qui fut imposé:
«À réclamer l’impossible
La procession est brutale
Aux échelons de l’underground
Sur le lit d’hôpital
L’intimité est la seule preuve
Que je suis tombé
Qu’on ne m’étreigne pas
Les draps sont déjà sales»
Ce livre est une recherche d’identité sur trame de l’enfance, un long cri perdurant de cette période de nos vies à aujourd’hui. Les quelques rimes faciles et les jeux de mots évidents sont vite oubliés grâce aux passages éblouissants:
«Vivre l’émeute adolescente
Vive l’osti d’tempête
À l’envers à froid
Qu’explose le poème
Que le rock meure
Que le bruit nous réveille»
Appréciation: ⭐⭐⭐⭐
Taverne nationale (2019) de Dominic Marcil et Hector Ruiz – Éditions Triptyque – Collection Poèmes
Taverne nationale nous fait connaître la vie intéressante et saugrenue de la plus vieille taverne de Granby.
Comme plusieurs essais récents, ce texte a une forme éclatée, mélangeant habilement plusieurs genres: poésie, chronique historique avec photographies d’archives et correspondance. Cette copublication suit une autre que le duo avait publiée en 2016, Lire la rue, marcher le poème. Ils infiltrent incognito l’espace, en vain (armés de crayon et de calepin, ils ne sont pas passés inaperçus).
Tout de la taverne y est décortiqué: l’endroit et son histoire, la faune et ses codes sociaux (ses comportements et discussions). Ses débuts ouvriers transitent vers une ouverture – ce n’est qu’en 1979 que les femmes y auront accès.
Aujourd’hui, la taverne est un lieu du quotidien pour les habitués, et un monde à part pour autrui. Ruiz et Marcil se sont amusés à analyser un autre espace lié à nos mythes et pratiques. Pour rire un peu et découvrir la Taverne nationale, lisez ce texte.
Appréciation: ⭐⭐⭐ ½
De vous à moi…
Les salles, bars, terrasses rouvrent, il est temps de retourner taper des pieds, giguer, s’abreuver ensemble. La musique ravive des souvenirs, tisse des liens. Dans mon cas, la magie opère, entre autres, lors des concerts de métal, où la communauté est plus que bienveillante: on ramasse celui qui tombe lors d’un mosh pit, on fait connaissance à l’entracte sans a priori.
Un sentiment d’appartenance indéniable naît et peut perdurer grâce à la musique, elle fait œuvre utile.