«Laurence Anyways» de Xavier Dolan: la longue parenthèse – Bible urbaine

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«Laurence Anyways» de Xavier Dolan: la longue parenthèse

«Laurence Anyways» de Xavier Dolan: la longue parenthèse

Publié le 18 mai 2012 par Jim Chartrand

Si Xavier Dolan livre ici son film le plus techniquement accompli, il ne se montre pourtant pas capable de se limiter, mélangeant rapidement son audace à son manque de restrictions. Comme quoi, à défaut de ravir par l’esthétique, «Laurence Anyways», son troisième long-métrage, déçoit à l’usure, empêchant le réalisateur de 23 ans d’offrir l’un des plus beaux chefs-d’œuvre de l’année.

Malgré la très longue durée du film (2h41 minutes), Xavier Dolan ne se sort toujours pas de son mode d’exploration. Encore en période d’essai, il maîtrise, certes, de mieux en mieux les codes cinématographiques, qu’il aime toujours autant détourner pour le meilleur ou pour le pire, mais il livre ici, en toute honnêteté, une fresque épique qui manque cruellement de définition.

Après une bande-annonce de près de trois minutes, qui ne devait que livrer les grandes lignes du scénario, il ne se montre guère plus convaincant avec le produit complet. Oui, le long-métrage va bien plus loin, mais à défaut de combler les vides et de livrer des tableaux d’une beauté souvent éblouissante, il ne creuse pas assez le potentiel du scénario comme on l’aurait souhaité. C’est une belle intention de traiter humblement de la transsexualité, surtout en période de mouvance comme celle des années 90, mais même si le but était d’explorer le concept d’un point de vue intériorisé par le biais d’un protagoniste, le spectateur n’en ressent pas la portée.

En fait, le produit final est tellement léché, autant visuellement que musicalement, et si fin d’un point de vue esthétique, qu’on se sent rapidement immuniser contre toutes émotions. On a beau vouloir partager avec les personnages leur passion et vouloir s’enivrer de toute la flopée de sentiments que la large palette de couleurs suggère, tout comme l’étalage fascinant de grands hits musicaux, les larmes ne viennent que très rarement.

Oui, on se laisse hypnotiser par le tourbillon. Oui, on dérive avec les années qui passent. Oui, on succombe au jeu fascinant des comédiens qui se dévouent corps et âmes dans des performances tout simplement magistrales, comme celle de Melvil Poupaud, d’ailleurs, transsexuel à contre-emploi, qui se dévoue entièrement, ou encore celle de Suzanne Clément, qu’on avait jamais autant ressentie au grand écran. Cependant, les vibrations intérieures que l’on pourrait ressentir ne sont pas aussi nombreuses que celles qui se dégagent d’un même thème.

Occupé à jouer à l’esthète, Dolan perd donc un peu de sa force. Celui qu’on avait appris à connaître comme un excellent dialoguiste n’a plus la même portée qu’avant. Ici, on se force à trouver des lignes-canons qui vont marquer sur le coup, mais on les oublie vite, tout comme les longs monologues qui rappellent la crise de nerf d’Anne Dorval dans J’ai tué ma mère. Ces derniers n’ont pas la même ampleur, ici, la faute étant au montage, toujours très nerveux, voire mouvementé, qui empêche toute insertion de plan-séquence ou continu.

Il y a aussi beaucoup de sens qui manque à l’ensemble. D’accord, l’utilisation de certaines chansons n’est pas des plus subtiles, avec des paroles telles que «Ton départ m’a fait mal comme un coup de couteau», qui semblent toujours apparaître au bon moment, tout comme certains passages où le protagoniste se retrouve par exemple à la croisée des chemins dans un cimetière en phase de questionnement. Par contre, il est difficile de justifier un très grand nombre de scènes et de personnages qui ne semblent là que par caprice. C’est beau d’offrir de la place à l’ensemble du bottin de l’Union des Artistes, mais il faut savoir couper çà et là, surtout lorsqu’on sent que le tout ne fait pas progresser l’histoire.
Après deux heures de visionnement et même un peu avant, on a l’impression d’avoir déjà fait le tour. Après tout, ni le spectateur ni le scénariste ne semblent savoir où toute cette histoire va mener, une impression stagnante s’en dégageant alors que le film semble tourner en rond, et ce, jusqu’à une fin prévisible qu’on voit venir à des milles à la ronde.

N’empêche, Laurence Anyways, en raison de son potentiel fourmillant dans chaque recoin et parce que Xavier Dolan a certainement une part du génie qu’on lui attribue par moment trop vite, est loin d’être un ratage. Il a, comme toujours, cette juste parcelle d’éléments à souligner, et cette autre part qui fait regretter que le tout n’ait pas pas été mieux abouti.

On savourera donc le (trop) long-métrage avec réserve et on appréciera surtout le fait que Dolan, à défaut de brèves apparitions, ait lui-même cru bon de demeurer à l’extérieur de son film, nous donnant ainsi l’impression de laisser ressortir de sa pellicule un style qui lui soit propre plutôt qu’une attitude.

Appréciation: ***

Crédit photo: Alliance Vivafilm

Écrit par: Jim Chartrand

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