CinémaEntrevues
Crédit photo : Tous droits réservés @ Les Films du 3 Mars
- Du journalisme au documentaire de création
Dans les années 1990, Jean-François Lesage travaillait comme journaliste à la télévision pour Radio-Canada, dans l’Ouest canadien. Amené à rencontrer des gens de tous horizons et à devoir raconter leur histoire à la télévision, il a peu à peu trouvé sa passion pour le documentaire de création. «Le fait de faire du micro-trottoir et d’aller dans d’autres mondes que le mien (accompagné d’une petite équipe de tournage) m’a beaucoup enthousiasmé à l’époque. Ça a été un point tournant, et il y a quelque chose dans cette approche qui revient dans ma pratique documentaire maintenant», explique le réalisateur.
Évidemment, la partie artistique est également importante dans ses films. Comme il le dit lui-même, il part «de vraies conversations, de vraies situations et de vraies personnes; mais après, [il] se donne quand même le droit d’injecter “de la vie dans la vie” et d’être créatif.» C’est la parole et la vie réelle de chacun qui le nourrissent et qui lui permettent de créer des univers pouvant, à certains moments, évoquer la fiction.
La nostalgie des paradis perdus
Dans Prière pour une mitaine perdue, la première scène s’ouvre sur les visages d’usagers qui sont en file d’attente au bureau des objets perdus de la Société des Transports de Montréal (STM), où la quasi-totalité de ces gens que l’on découvre à l’écran ont été approchés. Cela permet à Jean-François Lesage d’introduire le thème central de son long métrage: la perte; que cette dernière paraisse à première vue plus superficielle ou plus profonde aux yeux des spectateurs.
Pour lui, l’idéation de ce projet documentaire s’est faite avec l’envie d’explorer le thème de la nostalgie, ainsi que les émotions qui peuvent en découler. «Je repensais à certaines époques de ma vie où j’avais l’impression que les choses me filaient entre les doigts, que je n’étais pas vraiment présent», confie le réalisateur. «C’était des moments qui auraient pu être intéressants, mais on dirait que je n’étais pas là et j’avais comme le goût de les retrouver.» C’est ainsi que, dans sa tête, la comparaison s’est établie avec le sentiment que l’on ressent quand on perd une écharpe ou des mitaines et qu’on tient profondément à remettre la main dessus.
Au cours du tournage, Jean-François Lesage a été marqué par les récits des gens qui se sont confiés devant la caméra, notamment lorsqu’il a découvert le sens qu’avait l’objet perdu pour eux: souvent, cela s’apparentait à bien plus qu’une simple perte matérielle. Par exemple, dans le film, «On apprend que, de l’autre côté de la carte Opus plastifiée qu’une dame avait perdue, elle y avait glissé une photo de ses parents décédés. Ces histoires qui paraissent minuscules sont en fait des récits importants pour ces gens, c’est symbolique.»
La neige et le virtuel, deux défis pour le réalisateur
Ici, l’esthétique est méditative et hivernale, et les images sont tournées en noir et blanc. Mais cette douce mélancolie ne vient pas sans défis à relever, fait remarquer le créateur. «Sur papier, j’ai écrit qu’il y aurait des chutes de neige dans chaque plan tourné en extérieur; mais très concrètement, réaliser ce projet était vraiment beaucoup plus compliqué que prévu. Il fallait planifier le tournage en fonction des tempêtes et des chutes de neige; et tourner l’hiver, c’est très éprouvant! J’avais vraiment sous-estimé à quel point on serait mis à l’épreuve par les éléments.»
Heureusement, à voir l’intérêt suscité par son travail – autant au Canada qu’à l’international –, cela en valait la peine: le film a été présenté en première mondiale à Visions du Réel (en Suisse) et a connu sa première canadienne à Hot Docs, où il a remporté le Prix du meilleur long métrage canadien. Il a aussi été programmé dans une quinzaine de festivals un peu partout dans le monde, de Melbourne à Milan.
La pandémie a toutefois mis des bâtons dans les roues de Jean-François Lesage, qui n’a pas pu aller à la rencontre des spectateurs autant qu’il l’aurait souhaité. En effet, il confie: «Ce qui nourrit mon travail, c’est le contact direct avec le public, et ça a été difficile dans un contexte de présentation virtuelle! Il n’y a pas la même immédiateté du contact avec les gens qui viennent de voir le film, et pourtant, ça, c’est précieux.» Mais le réalisateur nuance sa déception en rappelant: «En même temps, je me dis toujours qu’il suffit qu’une personne ait été touchée profondément, et ça donne un sens à mon travail!»