«Dheepan» de Jacques Audiard – Bible urbaine

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«Dheepan» de Jacques Audiard

«Dheepan» de Jacques Audiard

La violente déconvenue d'un exil fantasmé

Publié le 14 février 2016 par Benjamin Le Bonniec

Crédit photo : Paul Arnaud et Why Not Productions

Palme d’or au dernier Festival de Cannes, Dheepan sortait ce vendredi 12 février au Québec. Après le succès d’Un Prophète, Jacques Audiard revient avec un film audacieux, réaliste et doté d’un net engagement social. Ce septième long-métrage du réalisateur français se révèle comme un film coup de poing, comme un documentaire en substance, pourtant il n’a pas réellement les allures du chef d’oeuvre valant sa récompense cannoise. Le film surprend tout démêle dans sa dimension anthropologique sur les banlieues avec une pertinence indiscutable avant de sombrer dans le polar noir à la verve audiardienne.

C’est au fin fond d’une forêt Sri-Lankaise que débute le parcours de Dheepan, un combattant des Tigres Tamouls, une organisation indépendantiste du Sri Lanka. La défaite est proche et la guerre civile touche à sa fin. Dans ce contexte, notre homme se dérobe et s’envole pour la France avec dans ses bagages une femme et une fille qu’il ne connaît pas, convaincu qu’elles satisferont la crédibilité de sa demande d’asile politique.

Après avoir été trimballé de foyer en foyer, cette famille fictive échoue dans une cité de la banlieue parisienne, La Coudraie, où Dheepan se voit confier un poste de gardien d’immeuble. L’occasion est trop belle et cet homme «qui n’aimait plus la guerre» y entrevoit alors les promesses d’une vie rangée. Peu à peu, ses espoirs de quotidien paisible et tranquille vont s’émietter aux rythmes des violences entre bandes rivales jusqu’à faire resurgir les instincts guerriers d’un homme encore à vif de ses années d’affrontements armés.

Embarquant son héros dans un processus d’intégration incertain et compliqué, Audiard innove par le traitement d’un personnage venu d’ailleurs et devant faire face à une société au bord de l’asphyxie. Par moments, cette fresque sociale prend des allures de reportage documentaire, pourtant le réalisateur s’émancipe de ses mises en scène caractéristiques en se tournant vers un cinéma d’immersion plus continue, plus fluide.

Le spectateur vit aux rythmes de cet antihéros, de celle qu’il a pris pour femme, entre angoisse et allégresse.

Étalant des personnages aussi pittoresques qu’authentique, le film se prend à dépeindre une société française à bout de souffle où la violence est récurrente et les frictions incessantes. Antonythasan Jesuthasan dans le rôle de Dheepan est impressionnant de sincérité, émouvant dans son jeu d’acteur. Vincent Rottiers, vu dans L’Écume des jours (2013) ou dans Renoir (2012) et qui sera à l’affiche de Paris est une fête, le prochain Bonello, tire admirablement son épingle du lot, endossant merveilleusement ce petit chef de gang intransigeant et paradoxalement sympathique.

Dialogues bruts et violents, précarité, tension et climat social pesant s’ajoutent au long éventail proposé par Jacques Audiard, malgré ses coups d’éclat en faveur d’un certain communautarisme à la faveur d’un dialogue social interculturel. Son constat attristant des banlieues français n’est pas sans évoquer La haine (1995) ou Ma cité va craquer (1997), ou encore Straw Dog (1971) dans sa dimension hyper violente. Au final, l’incontournable Audiard, ce Scorsese à la française, rend une copie impeccable comme souvent sans pour autant nous surprendre avec virtuosité.

On se questionne sur cette Palme d’or jusqu’à se demander si Dheepan n’a pas été un peu surestimé depuis ce succès cannois quand on se rappelle l’agrippant et mémorable Un prophète, qui lui aurait certainement mérité la palme.

L'événement en photos

Par Paul Arnaud et Why Not Productions

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