MusiqueLes albums sacrés
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En 1997, la musique électronique européenne retentit de partout et à vive allure. En Angleterre, The Prodigy, The Chemical Brothers et Fatboy Slim sont au somment de leur popularité et envoient des rythmes plein la gueule à une vitesse démesurée. En France, le duo Daft Punk fait un tabac avec son premier album, Homework, avec des pièces rapides et répétitives.
Encore une fois, les beats vont à la vitesse du métro parisien. Jean-Benoît Dunckel et Nicolas Godin, originaires de Versailles, préfèrent tout ralentir: les rythmes deviennent volontairement languissants, les ambiances s’adoucissent et les mélodies planent dans l’espace. Le titre choisi pour l’album, Moon Safari, s’avère donc très judicieux.
Avec le recul, il est impressionnant de constater à quel point un album qui allait tant à contre-courant ait réussi à se frayer un chemin sur les palmarès (il atteindra la sixième position en Angleterre, berceau du big beat). Il ne fallait toutefois pas négliger une bonne partie de fans de musique électro qui, au lieu d’aller se déchaîner sur les pistes de danse, préfèrent faire la causerie dans les cafés en mangeant des pâtisseries. De plus, en mélangeant admirablement bien humour, naïveté et romance, Moon Safari ne manque certes pas de charme. Dunckel et Godin utiliseront le tout soigneusement à leur avantage.
L’album débute tranquillement avec un rythme qui galope lentement sous une pluie estivale. Ensuite, une ligne de basse chaleureuse comme du beurre fondant, très funk des années 1970, fait son apparition, accompagnée des ambiances célestes des claviers. À plus de sept minutes, l’instrumentale «La Femme D’Argent» est le contraste parfait de «Firestarter» de The Prodigy. Comme si Isaac Hayes rencontrait Pink Floyd et Can de l’époque Future Days.
Question à ceux et celles qui ont grandi dans les années 1990: qui ne souvient pas du petit gorille en peluche que l’on voit dans le vidéoclip de «Sexy Boy»? «Moi aussi, un jour / Je serai beau comme un Dieu», entend-on, incapables de croire aux aspirations naïves du narrateur. D’ailleurs, l’humour que l’on retrouve à travers Moon Safari empêche l’œuvre de basculer dans la prétention. Au refrain, la chanson explose timidement, juste assez pour nous faire bouger, un tant soit peu. «All I Need», chantée par Beth Hirsch, est une pièce folk organique délectable qui nous rappelle que les membres d’Air étaient aussi d’excellents musiciens.
Après le gorille en peluche, Air revenait à la charge avec une partie de ping-pong pour la vidéo de «Kelly Watch the Stars». La meilleure chanson pop du disque, sa simplicité est consternante: l’entièreté des paroles se retrouve dans le titre. Un peu à la manière de Daft Punk avec «Around the World». Encore une fois, la chanson est propulsée par sa ligne de basse, qui rebondit juste assez dans nos oreilles. «Talisman» est une autre savoureuse instrumentale qui nous montre que les inspirations du duo sont larges, les arrangements faisant penser au travail de Jean-Claude Vannier sur le gigantesque Histoire de Melody Nelson de Serge Gainsbourg. Le duo collaborera même avec Charlotte un peu plus tard pour son album 5 :55. Les cordes de Moon Safari seront enregistrées au studio Abbey Road.
«Remember» est sans doute la chanson la plus loufoque (et kitsch) de Moon Safari, le groupe n’ayant vraisemblablement pas peur de tomber dans l’autodérision et les clins d’œil à eux-mêmes. Le groupe explore le romantisme avec la pièce suivante, «You Make It Easy», avec Beth Hirsch aux commandes encore une fois. La simplicité est toujours au rendez-vous, les paroles relatant une relation d’amour qui va merveilleusement bien, rareté pour une chanson pop: «You leave me laughing without crying/There’s no use denying». Tout y est léger et pas compliqué. On est loin de Nick Cave, ici.
L’optimisme se poursuit avec «Ce matin-là», qui sonne littéralement comme un lever du soleil. Ne manque que les gazouillis des oiseaux. D’arriver à une pièce aussi gaie et tendre représentait un risque en soi à l’époque. La mélodie fait rêver, encore une fois très naïvement, à un monde meilleur. «New Star In the Sky» rend hommage à Martial Solal, grand pianiste jazz français d’originaire algérienne. L’album se termine avec «Le Voyage de Pénélope» et ses ambiances jazzées et feutrées, finale sans prétention qui laisse l’auditeur planer dans son imaginaire.
Dunckel et Godin signeront ensuite l’année suivante la sublime bande sonore du film The Virgin Suicides de Sofia Coppola. Le plus musclé 10 000Hz Legend (2001) sera le véritable deuxième album studio du groupe, mais n’aura pas le même charme que ses prédécesseurs. Il faudra attendre le sous-estimé Talkie Walkie, en 2004, pour que le duo français revienne à ses compositions soignées et lounge.
Questionné à décrire la musique d’Air en 1998, Nicolas Godin mentionnera qu’il s’agit de musique très timide. Qu’il soit timide ou non, Moon Safari s’impose encore vingt ans plus tard comme un album marquant de son époque. Comme quoi il faut toujours vaincre ou assumer sa gêne, finalement.