«Les Enivrés» d’Ivan Viripaev dans une mise en scène de Florent Siaud au Théâtre Prospero – Bible urbaine

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«Les Enivrés» d’Ivan Viripaev dans une mise en scène de Florent Siaud au Théâtre Prospero

«Les Enivrés» d’Ivan Viripaev dans une mise en scène de Florent Siaud au Théâtre Prospero

Le bruit et la fureur

Publié le 6 décembre 2017 par Pierre-Alexandre Buisson

Crédit photo : Nicolas Descôteaux

Une ville quelconque, en fin de soirée. Dans la rue, le directeur d’un prestigieux festival de cinéma croise une jeune femme trop intoxiquée pour tenir debout. Plus loin, dans un domicile, on célèbre le mariage de deux membres d’un triangle amoureux. À quelques rues de là, dans un restaurant végétarien, un enterrement de vie de garçon accueille la joie de vivre d’une prostituée exaltée d’un film qu’elle a vu plus tôt. Ailleurs, un souper de couples tourne au vinaigre lorsque l’un des hommes se met à proclamer que sa mère, décédée un an plus tôt, est toujours vivante.

Tous ces personnages, dont aucun n’est sobre, finiront par voir leurs destins se croiser dans un habile ballet titubant, au coeur d’une pièce chorale où les délicieuses discussions absurdes et les déclarations fatalistes sur la vie abondent. Le regard de Viripaev sur le monde, qui se situe quelque part entre la désillusion totale et une infime étincelle d’espoir qui fuse aléatoirement, lui donne une énergie créatrice sans pareille pour créer des personnages aux défauts attachants, des ratés sympathiques ou illuminés qu’il est incapable de traiter avec indifférence.

L’histoire d’amour entre le dramaturge russe Ivan Viripaev et le Théâtre Prospero ne date pas d’hier. En 2013 déjà, Christian Lapointe y adaptait Oxygène, reprise en 2015 et critiquée par votre humble serviteur. Illusions, dans lequel on pouvait voir, entre autres, David Boutin et Paul Ahmarani, était mise en scène par Florend Siaud en 2015 entre les mêmes murs.

Une pièce avec autant de personnages nécessite une logistique monstre, et c’est probablement pourquoi Florent Siaud, qui démontre ici une certaine suite dans ses idées, ne l’a pas choisie d’emblée. Mais comme il est difficile de se débarrasser d’une idée fixe, il était presque inévitable que le sympathique théâtre de la rue Ontario nous l’offre éventuellement.

Et c’est à une version assez grandiose qu’on a droit en fin de compte. L’alcool n’est ici qu’un prétexte qui favorise la disparition des inhibitions (et des barrières naturelles qu’elles créent), et qui incite aux rapprochements et à la liberté oratoire. Les dialogues «pâteusement» livrés, où s’alternent les idées saugrenues, sont un réel plaisir, l’une des forces de Viripaev, et ce dernier s’attarde dans cette œuvre à des considérations typiquement russes sur la mortalité et l’amour.

Boire donne du courage; des idées qui nous paraîtraient impensables à jeun deviennent ainsi des défis à relever, et des vérités qui seraient restées sous silence jaillissent avec une violence libératrice.

Le plaisir et la rigueur des interprètes se transmettent jusque dans les gradins, et une énergie particulière flotte dans la salle. Marie-France Lambert, déjà de retour dans la grande salle après son tour de force dans Je disparais en octobre, y est tout aussi incroyable. David Boutin et Paul Ahmarani sont de retour, et ce dernier fait preuve d’une forme et d’un esprit qu’on ne lui avait pas vu depuis longtemps. Évelyne Rompré y est particulièrement polyvalente, passant de la pureté d’une demoiselle d’honneur en quête d’amour à l’hystérie bienveillante de la péripatéticienne, un personnage fascinant qui assume pleinement son choix de «carrière».

C’est une pièce qui donne soif, qui célèbre l’ivresse et la vie, et qui présente la religiosité d’une façon détachée et amusante, ses personnages incitant à plusieurs reprises quiconque les entendant de ne «pas se pisser dessus de peur» et de bien écouter «le chuchotement du Seigneur dans ton cœur».

De bien judicieux conseils auxquels nous aimerions ajouter celui-ci: ne boudez pas votre plaisir.

L'événement en photos

Par Nicolas Descôteaux

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