ThéâtreDans la peau de
Crédit photo : Marlène Gélinau Payette (photo à la une)
1. Tu portes différents chapeaux dans ta vie professionnelle: tu es à la fois auteur, metteur en scène et directeur artistique pour la compagnie Les Deux Mondes. Quand exactement as-tu su que le théâtre allait occuper une grande place dans ta vie? Parle-nous de ton parcours un peu.
«Il est vrai que je porte plusieurs chapeaux et je crois que cela est en grande partie redevable à mon passage par l’École nationale de théâtre… C’est la seule école qui regroupe sous un même toit tous les métiers du théâtre et lorsque j’y étudiais, au milieu des années 90, la philosophie qui animait la direction était claire: on devait toucher à tout, apprendre à connaître le travail de l’autre pour mieux le comprendre, mieux le respecter et, au final, être capable de réellement travailler en équipe, comme l’exige notre art. À l’École, à cette époque, on formait, certes, des spécialistes des différents corps de métiers qui font le théâtre mais, avant toute chose, on formait des hommes et des femmes de théâtre… Vingt ans plus tard, cette philosophie me guide toujours et c’est pour ça, notamment, que j’ai voulu toucher à la mise en scène, à la traduction ou à la réalisation d’expositions muséales; non pas pour en faire des métiers parallèles, mais plutôt pour approfondir ma compréhension des différentes facettes de cet art, pour être un créateur mieux outillé, plus complet, en quelque sorte.»
2. Du 16 janvier au 3 février 2018, c’est au Théâtre Prospero que les mordus de théâtre pourront déguster les fruits de ton imaginaire, avec en prime la touche singulière du metteur en scène d’origine belge Michael Delaunoy. Comment en êtes-vous arrivés à collaborer sur un même spectacle?
«Michael et moi nous nous sommes rencontrés en 2000 à Bruxelles, alors qu’il dirigeait une lecture, en français et en flamand, de mon texte Titanica. C’était l’une des premières fois que mon travail d’auteur était présenté à l’étranger et, comme nous nous sommes découverts plusieurs affinités, nous sommes restés amis. Mais, pour toutes sortes de raisons, il a fallu du temps pour que nous finissions par collaborer ensemble sur un projet de création. Il y a eu des rendez-vous manqués (notamment, il y a quelques années, à l’époque où je dirigeais le Théâtre Bluff) puis avec Warda les astres se sont alignés. On a senti qu’on avait le bon projet, le bon propos et on s’est donc lancés dans l’aventure d’une coproduction entre Les Deux Mondes, basée à Montréal dans Villeray, et Le Rideau de Bruxelles, théâtre que Michael dirige en Belgique. Le spectacle a déjà été créé en 2016 à Bruxelles, où il a été accueilli très chaleureusement par le public, et c’est donc avec beaucoup d’excitation qu’on se prépare à enfin de partager avec le public montréalais!»
3. Warda nous plonge dans un décor londonien, alors que Jasmin, jeune loup des finances ayant quitté Montréal pour la capitale britannique, fait la rencontre de Hadi, un marchand de tapis. Ce qui s’avère une simple transaction devient alors un jeu à énigme, voire un conte à clé, lorsque le vendeur demande à Jasmin le mot de passe pour conclure leur marché. D’où t’es venue le point de départ de cette pièce, l’inspiration?
«J’ai séjourné à Londres, en 2010, alors que j’étais invité comme auteur en résidence par la compagnie Paines Plough. Comme Jasmin, je me suis retrouvé, par hasard, à visiter des boutiques de tapis (sur le trajet qui allait de mon appartement à la station de métro, il devrait y en avoir une bonne quinzaine!!!) et j’ai développé un grand intérêt pour les tapis eux-mêmes (je les collectionne depuis), mais aussi pour ces lieux un peu mystérieux et aussi, pour les commerçants, qui avec leur accent et leur côté très vendeur, sont en soi de vrais personnages! Dans l’histoire, la relation entre Jasmin et Hadi, le vendeur, est devenue très ambigüe, chargée de mystère, d’attirance sexuelle et, en même temps, de crainte et de répulsion… La boutique de tapis agit donc comme une porte d’entrée qui ouvre sur quelque chose de beaucoup plus vaste, une sorte de Sésame qui nous mène vers d’autres territoires, réels ou imaginaires… Ce n’est pas pour rien qu’après avoir commencé à Londres, l’action de la pièce se déplace à Paris, puis à Bagdad, avant de faire un détour par Québec pour finir à Anvers… Ça se passe aujourd’hui, les enjeux sont très actuels, mais on a en quelque sorte un pied dans le passé, dans les Mille et une nuits et les légendes de tapis volants!»
4. Pour reprendre les mots de Michael Delaunoy, Warda, c’est une pièce où il est question de frontières, géographiques certes, mais également de frontières entre masculin et féminin, passé, présent et futur, vie réelle et vie imaginaire. Peux-tu nous parler plus justement de l’intention artistique derrière ce texte?
«D’emblée, Michael et moi avons eu envie, comme nous étions dans un contexte de coproduction internationale et de rencontre entre artistes de différents pays, de placer ces enjeux au centre du projet. On a donc choisi de créer une distribution mixte parlant diverses langues (des Belges francophones, néherlandophones et arabophones et des Québécois francophones et anglophones) puis de construire la proposition autour de ces frictions d’identités et de langues. C’est un élément qui contribue grandement à l’originalité du projet, qui est très en phase avec les enjeux actuels de migration et de métissage, et qui a beaucoup séduit le public lors de la création en Belgique. Aussi, la piste des tapis, étonnamment, m’a mené vers les écrits du philosophe français Michel Foucault et vers son concept, assez audacieux, d’hétérotopies (des lieux qui, sur le plan métaphorique, en contiennent d’autres). Comme nous ne sommes pas dans un séminaire de philo, je ne m’attarderai pas trop longtemps sur le concept, mais disons qu’avec Foucault, est arrivé toute la question du genre, des interdits sexuels et sociaux et des différences entre les cultures. Ce n’est donc pas fortuit si Foucault, de manière décalée et loufoque, apparaît en plein milieu de la pièce, dans une chambre d’hôtel, pour venir parler de révolution…»
5. Tu es dans un ascenseur avec dix personnes et tu as quelques secondes pour inciter les gens autour de toi à venir voir ta pièce au Théâtre Prospero après les Fêtes. Quel serait ton elevator pitch pour nous convaincre d’y être coûte que coûte?
«Dans Warda, on est dans une logique de tapis volant: les personnages circulent d’un lieu à l’autre, d’un pays à l’autre, en un claquement de doigts, en quelques secondes à peine. Vous avez toujours rêvé de vivre ce type d’expérience et de vous défaire des chaînes de votre quotidien? À trois, on claque des doigts et on se retrouve tous ensemble dans la salle du Théâtre Prospero. Un, deux, trois…»
Pour plus d’information sur le spectacle ou pour acheter vos billets en ligne, visitez le www.theatreprospero.com/warda. Pour consulter nos précédentes chroniques «Dans la peau de…», visitez le labibleurbaine.com/Dans+la+peau+de…
*Cet article a été produit en collaboration avec Les Deux Mondes.
L'événement en photos
Par Alessia Contu