Littérature
Crédit photo : VLB Éditeur
Le cumshot, c’est le gros plan à la fin d’un film porno où l’on voit l’homme éjaculer, habituellement sur le visage de la femme. L’homme a sans doute du plaisir à jouir, mais la femme, elle? On fait semblant de croire à son enthousiasme feint. Pour la journaliste Lili Boisvert, qui anime notamment l’émission Sexplora et a cofondé Les Brutes, c’est la métaphore parfaite des rôles que l’on assigne aux deux sexes. L’homme est le chasseur, sujet actif, désirant, tandis que la femme est la proie, passive, sans désir propre.
Dans cet essai sans complexes, l’auteure prend le taureau par les cornes et aborde tous les aspects de la sexualité asymétrique des hommes et des femmes. Le mythe de la jeunesse passe au tordeur: on pardonne facilement à ces messieurs les signes de la vieillesse, mais les dames doivent se ruiner la santé financière et mentale pour conserver une apparence jeune. Alors que personne ne s’offusque qu’un homme sorte avec une femme beaucoup plus jeune que lui, une femme qui fréquente un «jeunot», même de seulement quelques années son cadet, sera étiquetée comme une «couguar». Ce qui dérange? C’est alors la femme qui chasse, et les rôles sont inversés; un sacrilège dans cette société patriarcale.
Plus dérangeant encore, Lili Boisvert fait remarquer que les caractéristiques de la sexualité féminine les plus valorisés sont très infantilisants: hanches étroites, pilosité absente, jeunesse évidente. Seuls les seins bien fermes (et probablement faux) se démarquent du stéréotype de l’adolescente. Avec une logique implacable, l’auteure met en évidence les contradictions des exigences imposées aux femmes avec ce «devoir de pureté», où l’on s’attend à ce qu’elles soient innocentes, non désirantes, mais qu’elles se «transforment en salope en présence d’un pénis». C’est notamment le «dressage» qu’on fait subir aux adolescentes.
Chaque sexe a donc son Graal à atteindre: être en couple pour les femmes proies, avoir le plus de sexe possible pour les hommes chasseurs. Deux quêtes stéréotypées à l’extrême qui placent les deux sexes en inadéquation, non seulement au lit, mais aussi dans leurs rapports sociaux. Le désir sexuel des femmes est otage de ces clichés.
Un miroir de la société
Même pour des lecteurs ou lectrices qui se disent féministes ou conscients de ces dynamiques de genre, Le principe du cumshot est révélateur. Lili Boisvert réussit à articuler avec clarté ces dynamiques pernicieuses, invisibles tellement elles sont ancrées dans nos sociétés occidentales. Il y a peu de personnes pour clamer haut et fort que les femmes sont inférieures aux hommes de nos jours, mais l’inégalité entre les sexes continue de se manifester de multiples façons, que l’auteure met à jour avec doigté et en s’appuyant sur nombre d’études scientifiques. Exit les lieux communs sur la fertilité infinie des hommes et l’horloge biologique qui presse les femmes de procréer.
On entend déjà les défenseurs du statu quo crier à la «haine des hommes», mais rien n’est plus loin du propos de ce livre. Lili Boisvert nous offre un miroir pour examiner notre propre rapport avec notre sexualité et avec l’autre sexe. En dénonçant l’hypocrisie des clichés qui emprisonnent les hommes et les femmes dans une sexualité stéréotypée, elle rend service aux deux sexes et permet aux femmes de comprendre comment reprendre contrôle de leur sexualité.
«Le principe du cumshot: Le désir des femmes sous l’emprise des clichés sexuels» de Lili Boisvert, VLB Éditeur, 256 pages, 24,95 $.
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de la rédaction