ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : David Ospina
Attention, cette pièce s’adresse à un public à l’esprit ouvert et qui n’est pas facilement choqué. Car tout droit sortis de Molenbeek, à Bruxelles en Belgique, Rachid et Mouloud s’enrôleront dans ce qu’ils croient être de petites vacances de type «tout-inclus» qui les sortiront de la misère dans laquelle ils vivent – la difficulté de travailler et d’être accepté socialement en tant que Belge d’origine arabe -, mais qui s’avérera être un camp d’entraînement djihadiste, afin d’apprendre à manier les armes, à fabriquer des explosifs et à se radicaliser, avant de débarquer au Canada en tant que… réfugiés syriens!
Ils sont bien placés et nombreux, les clins d’œil à l’actualité de la dernière année et jeux de mots, plus ou moins subtils selon les cas, à propos tantôt de la Promenade des Anglais (à Nice, où a eu lieu un attentat en juillet 2016), tantôt, de Charlie Hebdo ou même d’une salle de spectacle où on se fait exploser et d’enfants qui «dorment» sur la plage de Lesbos. Les faits sont ici déformés, inversés ou grossis, et on se joue de tout également, presque avec une belle équité et un bon sens éthique.
Le personnage de Mani Soleymanlou, qui avant de jouer l’espèce de calife absolument jouissif Abouminable, interprétait le frère de Mouloud en parlant en rimes, tel le Grand Corps Malade auquel on fait référence, est sans doute le premier clin d’œil qui ravit, mais il y en aura plusieurs autres. De la scène à Radio CHOI FM (Radio X) où l’animateur raciste fait écouter des appels d’auditeurs, dont Éric Duhaime et le Doc Mailloux qui livrent leurs plus belles citations inclusives et ouvertes sur les autres, à celle où Mélanie «Jolie», ministre du Patrimoine canadien – interprétée de façon très comique, par Soleymanlou aussi! – accueille les deux grands voyageurs naïfs, tels des réfugiés syriens, plusieurs détails sont admirablement pensés et bien orchestrés.
Mani Soleymanlou est très drôle, le texte est intelligent et contient de nombreuses références culturelles, Olivier Kemeid est réellement impressionnant dans son jeu fluide et naturel, et avec son accent belge impeccable, tandis que Geoffrey Gaquère se fait un peu plus théâtral et grossi. Mais malgré la belle folie qui se dégage de ce récit rocambolesque, le tout se fait un peu chargé, mais surtout éparpillé. On veut peut-être trop en mettre, et certaines scènes et idées tombent à plat, dont la scène finale où les trois comédiens essaient de s’intégrer culturellement dans nos grands classiques théâtraux en s’appropriant des répliques célèbres. Un bon flash, mais rendu à la va-vite et qui s’éloigne du fil conducteur, devenant hors contexte.
La mise en abîme du spectacle «Un» de Mani Soleymanlou, joué à Espace Libre et présenté par son directeur Geoffrey Gaquère, auquel finalement les deux ingénus tenteront de s’intégrer, est une idée de génie! Et il y en a plusieurs dans la pièce, mais le manque de finition du spectacle mine quelque peu l’appréciation globale, malgré qu’on sente que les trois complices ont du plaisir à nous faire entrer dans leur délire.
Cependant, au final, il ne faut pas oublier que nous aussi, on a du plaisir, malgré les quelques lacunes; le rire est bel et bien au rendez-vous, qu’il soit jaune, gras ou nerveux.
L'événement en photos
Par David Ospina
L'avis
de la rédaction