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Crédit photo : Zoé Duchesne
L’exposition rappelle que le marché des normes esthétiques broie trop vite l’âme de petites filles pour en faire de la chair à image et, en cela, il interpelle toutes les petites filles en nous. Au Québec, le discours de l’hypersexualisation est déjà bien ancré pour dénoncer la tangente dangereusement pornographique de la mode. D’autres, comme les Femens, ont même déjà utilisé leurs seins nus comme armes pour manifester leur désaccord à ce sujet. Mais Duchesne a le poids de l’expérience pour mieux briser le mythe de la femme exposée «qui ne demande que cela» et pour laisser s’exprimer celle qui prend conscience d’être manipulé.
Ce qui n’est pas nécessairement mis de l’avant, dans cette exposition composée de photos et de films muets, est à quel point Duchesne sait de quoi elle parle, non seulement à propos du vaste marché de l’image corporelle, mais aussi de sa banalisation. Parce que contrairement à Lovelace, qui s’est affiché ouvertement contre la porno après avoir été l’héroïne de Deep Throat, le parcours de Duchesne n’a rien de révolutionnaire. Au contraire, son portfolio, composé principalement de poses érotiques stylisées, ne visait pas des esprits divergents ou d’amateurs de porno nouveau genre, mais plutôt des hommes et des femmes, des adolescents et des adolescentes ordinaires, soumis quotidiennement à la multiplication des icônes de beauté.
Cette part plus biographique de son parcours n’est toutefois que brièvement révélée par l’expo POUPÉE. Afin de briser cette image de perfection, Duchesne a fait le choix de s’enlaidir sur chaque photo, tout en reprenant des symboles incontournables de la mode, comme ceux de la blonde plantureuse, ainsi que le maquillage à l’allure de poupées gonflables qu’Alexander McQueen a utilisé en 2009 pour attirer l’attention. En de domaine, les normes qui distinguent le beau du laid sont mouvantes. Pourtant, s’il est vrai qu’une image vaut mille mots, l’efficacité même de la recette éveille des réticences. Dans cet univers de clichés hypersexualisés qui vise toujours le «plus fort» et le «plus loin», confronter les normes par l’image peut-il encore parvenir à «faire du bruit»?
Le dégoût que manifeste Duchesne est sans doute réel, mais le marché de la provocation par l’image n’en reste pas moins dévorant de vie et son exposition y participe, à sa manière et leur même l’alimenter. Lorsque la culture populaire se met styliser les mises en scène pornographiques à travers les grandes offensives publicitaires de Ducan Quinn, American Apparel ou Dolche & Cabanna et à vibrer pour les 50 nuances de Gray, on se rend compte qu’il devient bon ton d’aduler le sort, non seulement de la femme-objet, mais de la femme qui souffre et, parfois, y consent.
Mais a-t-on seulement le choix de provoquer pour vendre? Peut-on critiquer sans encourager ceux qui carburent à la divergence? Duschesne, qui a erré depuis si longtemps dans l’univers de la mode devrait être la mieux placée pour en douter. Existe-t-il alors d’autres solutions que de se taire? Elle a au moins le mérite d’avoir suscité la question.
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de la rédaction