LittératureL'entrevue éclair avec
Crédit photo : Alain Asselin (à gauche): Geneviève Asselin; Jacques Cayouette (à droite): Nick Wojtas.
Alain, Jacques, c’est un plaisir d’échanger avec vous aujourd’hui! Alain, vous êtes professeur à la retraite du Département de phytologie de la Faculté des sciences de l’agriculture et de l’alimentation de l’Université Laval; et vous, Jacques, vous êtes botaniste et chercheur à Agriculture et Agroalimentaire Canada à Ottawa. Dites-nous tout: d’où vous est respectivement venue la passion pour les végétaux, et comment avez-vous chacun croisé le chemin de l’autre?
A.A. «Mon intérêt pour les végétaux s’explique par ma participation à un Cercle des Jeunes Naturalistes (niveau primaire) et à un Club de sciences naturelles au Collège de Lévis (1961-1968). J’ai découvert à cette époque l’existence de l’organisation Les Jeunes Explos dirigée par un pédagogue très soucieux de l’importance des stages d’été en sciences naturelles. Léo Brassard est un naturaliste renommé qui, à partir de 1962, est aussi responsable de la belle revue de vulgarisation des sciences Le Jeune Scientifique. Je suis devenu un habitué des stages d’été en botanique chez les Explos.»
«Après un baccalauréat en philosophie à l’Université Laval, je me suis enfin branché sur la logique de l’univers végétal en étudiant (baccalauréat et maîtrise) à la Faculté des sciences de l’agriculture et de l’alimentation. Après un doctorat en phytopathologie (1978) de l’Université Cornell (Ithaca, New York), je suis devenu professeur en phytopathologie.»
«J’ai eu le plaisir de croiser Jacques au Collège de Lévis et chez les Explos, entre autres circonstances. Mon premier article scientifique (1972) est dû à la générosité de Jacques et de son père Richard, un agronome-botaniste établi. Cet article porte sur un saule dit pubescent à la rivière Shipshaw!»
J.C. «Alain me donne une belle occasion de le taquiner un peu (et pourquoi pas…) sur sa vocation plutôt tardive envers son “univers végétal”. Mon intérêt pour les plantes est assurément plus précoce que le sien!»
«Dès l’âge de 4 ans, j’accompagne fièrement mon père lors de certaines excursions botaniques. Ma première récolte d’un spécimen végétal s’effectue à l’âge de 8 ans. Ce spécimen est qualifié par mon père comme étant une “variété peu courante”. En fait, il s’agit d’une espèce apparentée au chardon. Mon père sait stimuler mon intérêt pour notre flore.»
«Au moment des premières rencontres avec Alain au Collège de Lévis, par le biais d’activités en sciences naturelles, je suis déjà (1956-1963) au dernier stade du programme du bon vieux cours dit classique. Alain fait partie d’une nouvelle cohorte d’étudiants hybrides qui expérimentent un programme aux allures collégiales plutôt que classiques.»
Vous êtes tous les deux auteurs de la série Curieuses histoires de plantes parue aux éditions du Septentrion: au fil des ouvrages, vous revenez période après période sur l’histoire des végétaux, tout en prenant en considération les informations scientifiques et culturelles en lien avec celle-ci. Quel a été votre déclic pour vous lancer dans ce projet d’écriture, en fait?
A.A. «Deux projets m’inspirent au moment de ma retraite de professeur et de chercheur: des investigations généalogiques familiales (dont certains séjours de membres de ma famille aux États-Unis), et une sorte de rêve d’écrire un peu… sur l’histoire de certains usages de plantes.»
«Après l’élaboration d’une version préliminaire nécessitant plusieurs ajustements, deux savants collègues adhèrent à mon projet un peu étrange et parfois flou: Jacques Cayouette, un ami botaniste patenté, et Jacques Mathieu, un historien émérite. Pourquoi pas deux Jacques plutôt qu’un? Un éditeur plutôt aventurier (Septentrion) contribue aussi au déclic final et à la suggestion d’un format qui permet d’allier illustrations, textes principaux, complémentaires et appendices.»
J.C. «Au long de ma carrière, je m’intéresse à une gamme de sujets de recherche et à certains aspects de vulgarisation des sciences naturelles. En plus de l’identification des végétaux dans divers milieux de notre grand territoire, je tente de mieux connaître l’histoire de l’acquisition des connaissances de nos végétaux. En fait, depuis la fin de la décennie 1970, je collectionne toutes sortes de documents, souvent historiques, traitant de plantes et/ou de personnes intéressées par la botanique et ses ramifications.»
«Lors de l’invitation par Alain de participer à son aventure d’écriture, je suis moi-même en rédaction avancée de mon livre À la découverte du Nord qui paraît en 2014. Dans cet ouvrage, j’utilise déjà plusieurs sources documentaires recueillies depuis plusieurs décennies.»
Dans le cinquième et plus récent tome paru le 15 novembre, le lecteur a accès «à une gamme d’informations diversifiées et parfois même inédites couvrant une période du XXe siècle déterminante pour l’avancement des connaissances scientifiques dans la société québécoise»: plus spécifiquement, ce sont les années 1935-1975 qui y sont couvertes. Quelles ont été les sources (documents d’archives, articles scientifiques, recherches personnelles effectuées dans le cadre de votre travail) qui vous ont permis de partager ces connaissances?
A.A. «Une partie substantielle des sources d’informations du tome 5 (et des autres tomes aussi, particulièrement les trois derniers) provient de documents accumulés pendant des décennies par Jacques Cayouette, ce collectionneur invétéré. Jacques se plaît à m’apporter des boîtes et des boîtes de documents tout en souriant!»
«Il sait évidemment qu’elles contiennent à l’occasion des surprises documentaires. Pour ce qui est du tome 5, Jacques et moi avons eu le privilège de connaître certains personnages mis en évidence dans la trentaine d’histoires présentées.»
J.C. «Parmi un certain nombre de personnes qu’Alain et moi avons connu en commun, on peut nommer Léo Brassard, Samuel Brisson, Roger van den Hende et Lionel Cinq-Mars. En plus de divers collègues de travail, j’ai interagi avec le botaniste Camille Gervais, à titre d’exemple.»
«J’ai eu le grand privilège de connaître personnellement le fameux père Louis-Marie (Louis-Paul Lalonde (1896-1978)) de l’Institut agricole d’Oka. Dès 1931, ce personnage avait réussi à faire imprimer 20 000 copies de sa Flore – Manuel de la Province de Québec (voir une histoire du tome 4 à ce sujet). En plus de l’arsenal des qualités de ce personnage soucieux d’éducation et de vulgarisation scientifique, je me permets de souligner qu’il était aussi un ami de longue date de ma famille.»
Et alors, pourriez-vous nous faire part d’une anecdote drôle ou étonnante en lien avec les connaissances des végétaux acquises au courant du XXe siècle?
A.A. «Durant la toute première décennie du XXe siècle, la redécouverte des lois génétiques établies par le moine Gregor Mendel représente une étape déterminante des études modernes en génétique. Ce chercheur a su utiliser les pois à bon escient.»
«On oublie aussi souvent de souligner que le tout premier virus isolé (en 1935) est le virus de la mosaïque du tabac. Le monde de la virologie doit donc beaucoup au tabac et à son virus causant une belle mosaïque! Je dois avouer que mes recherches de thèse doctorale portaient sur ce virus.»
«Par la suite, pour étudier des mécanismes moléculaires de défense des végétaux envers divers types de stress, j’ai couramment utilisé ce virus qui a déjà porté le joli nom latin contagium vivum fluidum (fluide vivant contagieux). Parmi les histoires du tome 5, j’ai été étonné d’apprendre l’histoire pleine de rebondissements de toutes sortes d’un étudiant québécois des plantes qui a subi directement les affres de la Deuxième Guerre mondiale.»
J.C. «J’informe Alain que mon anecdote est beaucoup plus “piquante” que ses observations académiques. Pendant longtemps, un savant soutenait fermement que l’herbe à puce n’était certes pas une plante indigène au Saguenay–Lac-Saint-Jean.»
«Son argument référait au fait que le frère Marie-Victorin n’avait pas signalé ce végétal particulier dans cette belle région. Si on en trouve, on devait donc conclure qu’elle avait été introduite subséquemment par diverses activités humaines (comme peut-être par l’intermédiaire de certains moyens de transport, à titre d’exemple).»
«En fait, mon père et d’autres investigateurs de la flore du Saguenay ont trouvé l’herbe à puce dans des endroits bien particuliers, comme à proximité d’éboulis le long de certaines falaises plutôt escarpées. L’accès à ces éboulis est si difficile que Richard Cayouette a fait la remarque suivante: “Qui est ce farfelu qui a tant peiné à confiner cette plante dans des endroits si difficiles d’accès?” En d’autres termes, l’herbe à puce peut, dans certains cas, revendiquer sa citoyenneté régionale.»
À plus ou moins long terme, pensez-vous sortir un sixième tome qui couvrirait les années 1975 à aujourd’hui? Et si ce n’est pas le cas, à quels projets en lien avec votre passion pour les végétaux aimeriez-vous vous investir prochainement?
A.A. «Il est écrit, dans le tome 5, qu’il s’agit du dernier de cette série. Il ne faut quand même pas abuser des bontés de notre éditeur préféré! Quant à d’autres projets, on ne sait jamais… La promotion des tomes mérite notre attention de diverses façons.»
«Une des plus belles surprises à ce sujet est lorsque mon petit-fils m’a demandé s’il pouvait donner une copie du tome 4 à son enseignante. Vous devinez que le cadeau a d’abord été pour moi. Quant à ma petite-fille, elle a récemment apporté une feuille qui lui semblait bizarre, comme si elle exhibait des symptômes de mosaïque… Bonnes lectures et bonnes aventures teintées de chlorophylle!»
J.C. «Comme pour les tomes précédents, je considère ce dernier ouvrage comme non seulement un cumul d’informations à partager et à diffuser, mais aussi une invitation à continuer de tenter d’accumuler d’autres histoires souvent négligées par rapport à l’évolution dynamique de notre histoire en lien avec les sciences dites naturelles.»
«Il faudrait peut-être succomber plus fréquemment à la tentation de partager certaines histoires par l’écrit. Le mot science ne doit pas restreindre nos efforts et l’histoire est une alliée à ne pas négliger.»
«La nature nous invite à l’inventorier et à ce qu’on se soucie constamment de sa compréhension.»