«Dans la peau de…» Fernand Harvey, historien et sociologue qui s’intéresse à la dimension culturelle des rapports sociaux – Bible urbaine

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«Dans la peau de…» Fernand Harvey, historien et sociologue qui s’intéresse à la dimension culturelle des rapports sociaux

«Dans la peau de…» Fernand Harvey, historien et sociologue qui s’intéresse à la dimension culturelle des rapports sociaux

Étudier le passé du Québec et son empreinte sur le présent

Publié le 25 mars 2022 par Mathilde Recly

Crédit photo : Chantal Carbonneau

Chaque semaine, tous les vendredis, Bible urbaine pose 5 questions à un artiste ou à un artisan de la culture afin d’en connaître un peu plus sur la personne interviewée et de permettre au lecteur d’être dans sa peau, l’espace d’un instant. Aujourd'hui, on s'est glissé dans la peau de Fernand Harvey, historien et sociologue qui a toujours eu un intérêt marqué pour la dimension culturelle des rapports sociaux. Le 15 mars, les éditions du Septentrion levaient le voile sur l’ouvrage «Histoire des politiques culturelles au Québec, 1855-1976», au sein duquel l’auteur explore le passé du Québec par le biais d’un angle d’approche peu exploité jusqu’ici, à savoir le lien entre les acteurs politiques et le milieu culturel.

Fernand, on est ravis de faire votre connaissance! En plus d’être historien et sociologue, vous avez publié de nombreux livres et articles qui traitent des institutions, des politiques et des régions culturelles. D’où vous est venue la piqûre pour l’histoire et la sociologie appliquées au domaine culturel? 

«Comme historien et sociologue, je me suis toujours intéressé à la dimension culturelle des rapports sociaux. D’abord à l’Université du Québec à Rimouski, où j’ai débuté ma carrière en 1974, puis à l’Institut québécois de recherche sur la culture (IQRC), qui venait d’être créé à Québec par le gouvernement Lévesque en 1979, sous la direction du sociologue Fernand Dumont.»

«C’est au cours de ces années que je me suis d’abord intéressé à la culture régionale et à la vie culturelle en région. Ce fut le point de départ du vaste chantier sur l’histoire des régions du Québec, qui a produit vingt-deux synthèses publiées aux Presses de l’Université Laval sous ma direction, puis celle de mon collègue Normand Perron.»

«J’ai poursuivi mes travaux dans ce domaine et dans celui des institutions culturelles (musées, patrimoine, bibliothèques publiques, études québécoises), alors que l’IQRC était intégré à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS) sous son nom actuel de Centre Urbanisation Culture Société. Toutes ces recherches ont constitué un terrain fertile pour que je m’intéresse par la suite à l’histoire des politiques culturelles au Québec.»

«Selon moi, une telle histoire permet d’évaluer le chemin parcouru quant à la place d’abord marginale, puis croissante de la culture dans notre société.»

Le 15 mars, votre ouvrage Histoire des politiques culturelles au Québec, 1855-1976 est paru aux éditions du Septentrion. Il s’agit de «la première synthèse sur l’histoire des politiques culturelles du Québec» couvrant l’avant-Révolution tranquille. Plus particulièrement, à travers ces écrits, vous cherchez à « dégager le rapport entre le politique et le culturel en donnant la parole aux différents acteurs concernés ». D’où vous est venue l’envie d’explorer ce sujet?

«Il y a plusieurs façons d’étudier le passé du Québec et son empreinte sur le présent. On peut s’intéresser globalement à l’histoire nationale, régionale ou locale, on peut par ailleurs s’intéresser de façon sectorielle à l’histoire politique, à l’histoire économique et sociale, ou encore à l’histoire culturelle. J’ai choisi un angle d’approche peu exploité jusqu’ici, soit le lien entre les acteurs politiques et le milieu culturel.»

«Mon livre ne se veut pas une histoire de la vie culturelle au Québec, qui a été bien documentée par divers historiens et analystes littéraires. Il s’agit plutôt d’analyser comment les différents gouvernements québécois qui se sont succédé sont intervenus, d’abord de façon ponctuelle, entre 1855 et 1960, puis de façon plus systématique, depuis la création du ministère des Affaires culturelles, de 1961 à 1976, afin de soutenir la création littéraire et artistique, le développement des industries culturelles naissantes dans le domaine de l’édition et du cinéma, ainsi que la préservation du patrimoine.»

«Cette action de l’État en faveur des individus et des organismes s’est manifestée au fil des décennies par le biais de subventions, de bourses de perfectionnement, de législations sectorielles, de nouvelles institutions culturelles dans le domaine de la muséologie, des bibliothèques publiques, l’enseignement des arts, de prix de reconnaissance, etc.»

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Pourriez-vous nous donner quelques exemples de « débats qui ont animé sur plus d’un siècle les relations entre les instances politiques, les fonctionnaires et le milieu culturel en général » dans notre Belle Province? 

«L’histoire démontre que l’action de l’État québécois en matière d’aide à la culture a été généralement bien accueillie par le milieu, même si cette aide était souvent considérée comme insuffisante. Cependant, j’ai noté une situation conflictuelle lorsque la politique culturelle heurtait des visions du monde et des idéologies différentes. Deux exemples me viennent à l’esprit à cet égard.»

«Le premier concerne la création, à la fin du XIXe siècle, de bibliothèques publiques. En 1890, le gouvernement d’Honoré Mercier vote une loi qui permet aux municipalités de financer l’établissement de bibliothèques publiques, et ce, malgré l’opposition du clergé catholique qui avait développé son propre réseau de bibliothèques paroissiales. Le clergé voulait ainsi contrôler les critères de sélection des “bons” livres afin d’éviter ceux susceptibles de porter atteinte à la morale ou à la philosophie chrétienne. La chute du gouvernement Mercier, en 1892, rendra cette loi inopérante durant plusieurs années et contribuera au retard pris par le Québec dans le développement des bibliothèques publiques par rapport à l’Ontario.»

«Le second exemple de rapports conflictuels fait référence au “procès” fait au ministère des Affaires culturelles sous le premier gouvernement libéral de Robert Bourassa (1970-1976) par le Tribunal de la culture. Cet organisme volontaire, issu de la société civile et présidé par l’anthropologue Marcel Rioux, accusait le Ministère d’inefficacité et de laisser-faire, alors que des mesures s’imposaient pour défendre la culture québécoise face à l’impérialisme culturel américain et français. Selon le Tribunal, la notion de “souveraineté culturelle” de Bourassa demeurait un slogan vide de sens.»

Pourquoi, selon vous, la culture s’est-elle taillé une place croissante dans le débat public à partir de 1961? On aimerait entre autres savoir quels ont été les propulseurs et les acteurs de ce changement.

«Les politiques culturelles du Québec entrent dans la modernité des politiques publiques avec la création du ministère des Affaires culturelles en 1961, alors que Georges-Émile Lapalme en devient le premier titulaire. Ce dernier a voulu placer la culture au centre de la vision de l’État québécois pour des raisons à la fois éducatives et identitaires. Bien qu’il n’ait pas réussi à atteindre son objectif avant sa démission en 1964, il a su jeter les bases du nouveau ministère, une première en Amérique du Nord.»

«On lui doit aussi la création de l’Office de la langue française et l’amorce des relations diplomatiques avec la France. Son successeur, Pierre Laporte, assisté d’un groupe de fonctionnaires et d’intellectuels, dont le sous-ministre Guy Frégault, a produit un Livre blanc qui n’a jamais été rendu public officiellement, mais qui a constitué le premier projet de politique culturelle d’ensemble pour le Québec.»

«Ce document a inspiré, dix ans plus tard, le ministre Jean-Paul L’Allier, auteur, à son tour, d’un Livre vert sur la culture en 1976.»

Si vous aviez l’occasion de vous entretenir avec l’une des figures québécoises qui ont fait évoluer les relations entre politiciens, fonctionnaires et intervenants culturels, qui choisiriez-vous et de quoi parleriez-vous ensemble?

«J’aurais bien aimé discuter avec le regretté Jean-Paul L’Allier qui, avant d’être élu maire de Québec, avait été successivement ministre des Communications (1970-1975) et ministre des Affaires culturelles (1975-1976) au sein du gouvernement de Robert Bourassa. Il avait une vision d’ensemble pour l’avenir du Québec qu’il abordait sous l’angle de la résolution de problèmes concrets plutôt que sur celle d’une philosophie politique générale. Il avait, dans un premier temps, tenté de formuler une politique des communications pour le Québec où il liait le contenant et le contenu, les moyens de communication et la culture produite ici. Il s’est cependant heurté au refus du gouvernement fédéral dans le domaine de la câblodistribution.»

«Devenu par la suite ministre des Affaires culturelles, il a pris l’initiative d’élaborer une politique culturelle d’ensemble pour le Québec (Livre vert) qu’il n’a pas pu mettre en œuvre, puisque le parti libéral a perdu le pouvoir en novembre 1976. Cependant, sa réflexion sur le sujet annonce des changements de structures importants qui surviendront une quinzaine d’années plus tard avec la création de la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC) et du Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ), deux organismes indépendants du ministère de la Culture et des Communications.»

«On peut se demander ce qu’il penserait des nouveaux enjeux pour la culture québécoise tels que la diversité culturelle, l’internationalisation de la culture, le patrimoine mis en péril par les promoteurs, l’avenir de la culture numérique et les menaces que font peser les GAFAM sur l’autonomie culturelle du Québec…»

Pour découvrir nos précédentes chroniques «Dans la peau de…», visitez le labibleurbaine.com/nos-series/dans-la-peau-de.

*Cet article a été produit en collaboration avec les éditions du Septentrion.

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