ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Suzanne O'Neill
Un matin, Marianne (Anna Beaupré Moulounda), la copine de Vincent (Christian Michaud), voit s’afficher une notification sur le cellulaire de ce dernier pendant qu’il dort. Une femme qui lui dit ne jamais avoir oublié qu’il l’a violée quand ils avaient seize ans. Devant sa défense peu convaincante lorsqu’elle le confronte, elle le met à la porte. Il part se réfugier dans le Bas Saint-Laurent si cher à l’autrice, à Rivière-du-Loup, chez son père récemment devenu veuf, qui héberge toujours sa petite sœur.
Ville où habite aussi sa présumée victime, Noémie.
Il serait attendu de se dire, à la lecture du synopsis de la pièce, qu’on va sombrer dans une œuvre décourageante, lourde et sérieuse, mais il n’en est rien. On se surprend à rire franchement, sans que l’humour soit déplacé, dès les premières scènes.
Utilisons un terme quelque peu éculé mais ici absolument approprié: c’est un tour de force que d’être capable de faire s’esclaffer son public quand on parle d’un tel sujet, sans dénaturer son propos. Il y a non seulement un aspect franchement comique, mais aussi une profonde tendresse de tous les instants; tendresse des personnages les uns envers les autres, et tendresse d’une autrice au sommet de son art envers ses créations.
Un humour salvateur
Une grande partie de la chaleur qui irradie de la scène au public est due au personnage de Richard, le père de Vincent, et de son interprète Daniel Gadouas. Récemment veuf, pris au dépourvu devant la vie, désarmé et désarmant, l’incarnation de la bonne volonté, avec une valeur ajoutée: il passe une bonne partie de la pièce «en bobettes».
Un personnage anthologique, incarné de main de maître, avec une pudeur remarquable.
Il est toujours réjouissant de tomber face à face avec des personnages issus des régions qui sonnent juste, et dans ce registre, on se souviendra longtemps de Valérie (Debbie Lynch-White), la sœur festive de Vincent.
Et il est particulièrement remarquable de faire se côtoyer des personnages légèrement cabotins et des interprétations profondément dramatiques (Valérie Laroche dans le rôle de Noémie, notamment, ou la talentueuse Marine Johnson, qui nous avait déjà bouleversé dans le 21 de Rachel Graton) sur la même scène.
On explore donc, à travers moult revirements de situations, l’impact générationnel d’un viol, ses effets à long terme, les sinuosités qu’emprunte parfois la mémoire d’un évènement traumatique du passé, et la noblesse de reconnaître ses responsabilités.
La force de Déraspe, depuis longtemps, est d’examiner une cause sociale, ou un phénomène viral qui propose l’amélioration de la conscience collective, et de les disséquer avec bienveillance, de les vulgariser avec une indubitable élégance, et d’en faire une expérience forte à déguster bien assis dans la pénombre d’une salle de théâtre.
La pièce «Les glaces» de Rébecca Déraspe en images
Par Suzanne O'Neill
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de la rédaction