LittératureDans la peau de
Crédit photo : Myriam Frenette (Charles Beauchesne), François Couture (Simon Predj) et Marie Karedwen (Pierre Bunk)
Simon, ça fait plaisir de jaser à nouveau avec toi! Ça faisait un bail. Charles, Pierre, enchanté, les gars. Comment allez-vous? Bon, avant qu’on parle de votre livre, dites-nous donc comment vos destins se sont croisés, on est curieux!
S.P. «Ça va comme ça peut aller en plein début d’apocalypse. L’humoriste fabuleuse Maude Landry était venue prêter sa voix pour un épisode de mon podcast Ars Moriendi. J’ai su que Charles et elle étaient de bons amis, et qu’en plus, ils connaissaient mon show. Étant très fan de Charles et des Pires moments de l’histoire, je l’ai alors invité à collaborer en début de pandémie sur un épisode “poisson d’avril”, considérant que nos styles/sujets sont, disons, “cousins”. Ça a commencé comme ça.»
C.B. «De mon côté, le podcast de Simon était un incontournable pour plusieurs amis du milieu du stand-up, alors inévitablement, on a fini par en écouter en voiture en se déplaçant d’un spectacle à l’autre. Je me suis rendu compte qu’on aimait tellement les mêmes affaires, lui et moi, que ça m’énervait un peu (comme deux monstres de deux films d’horreur différents qui se croisent dans la rue). Alors, évidemment, quand Simon m’a proposé qu’on travaille ensemble sur un épisode cross-over avec Les pires moments de l’histoire, ça m’a semblé évident de dire… oui!»
P.B. «Salut à vous tous! Ça va pas mal, merci de demander. Je suis arrivé en dernier dans le trio, en tant qu’auditeur de leurs podcasts respectifs. Je les ai contactés après avoir écouté leur collaboration, qui m’avait évoqué énormément d’images, pour leur proposer de faire quelque chose ensemble. J’avais envoyé une histoire courte que j’avais faite un peu avant pour leur montrer ce que je faisais, et ils ont été intéressés!»
Bien sûr, on connaît déjà la passion de Simon pour l’horreur et le glauque, tandis que toi, Charles, on peut dire que, l’humour noir, ça te connaît! Et toi, Pierre… on a bien aimé ton coup de crayon sur Instagram, même si tu te qualifies de «dessinateur feignant». ;-) D’où ça vient cette fascination pour le dark side, les gars?
S.P. «J’essaie tant bien que mal de le comprendre – depuis que je suis assez vieux pour réfléchir par moi-même –, et je n’y arrive pas. J’ai toujours été fasciné par l’horreur, le bizarre, le macabre, l’art sombre, depuis que j’ai quatre ou cinq ans, après avoir vu “Thriller” de Michael Jackson. Mais je ne peux pas expliquer pourquoi cet amour de l’horreur m’habite autant. Je pense que c’est surtout pour la folie et les émotions fortes – voire extrêmes – qu’inspire le genre. Son intensité.»
C.B. «Je me souviens que, quand j’étais petit, j’avais une fascination pour les méchants dans les dessins animés. Je ne sais pas, on dirait qu’ils avaient toujours les plus beaux costumes, les personnalités les plus colorées, les émotions les plus complexes. Je voulais être un méchant de dessin animé quand je serais grand! Disons que, de fil en aiguille, c’est un sentiment qui s’est confirmé: j’ai manifestement une curiosité morbide dans la vie, et j’aime en faire un spectacle.»
P.B. «Merci pour le compliment! De mon côté, le dark side n’est pas une fin en soi. Ce que j’aime en premier, c’est qu’on me raconte des histoires. Si ça sort de l’ordinaire, c’est tant mieux, et c’est souvent dans la science-fiction, l’horreur et la fantasy que je trouve le plus d’histoires étonnantes. Mais l’horreur permet pas mal d’aborder des sujets et des idées assez perturbantes, et c’est là que le genre brille, à mon sens. En tout cas, pas quand c’est un chat qui fait du bruit dans les poubelles pour un sursaut cheap.»
On va se l’avouer: personne ne s’attendait à ce que Chroniques de l’abîme et autres récits des profondeurs sorte comme ça, de nulle part, avec vos trois faces où on reconnaît presque l’expression du jeune Bastien dans L’histoire sans fin lorsqu’il dérobe un livre ancien! Qui a eu l’idée de cette collaboration à trois, et de quoi ça parle, exactement?
S.P. «Comme je l’ai dit plus haut, c’était mon initiative. La collaboration sur l’épisode “poisson d’avril” a été un pas pire succès. On a même réussi à mêler des historiens qui nous écrivaient en panique en écoutant l’épisode, pour ensuite se sentir bernés une fois rendus à la fin où on admet que tout était faux.»
«Ça a été un immense plaisir de travailler avec Charles. Je trouve qu’on se complète bien. J’avais vraiment envie de remettre ça, de collaborer à nouveau avec lui. On a soumis l’idée d’une BD aux Éditions de l’Homme et, en contre-offre, ils nous ont proposé l’option d’un livre illustré avec plus de nouvelles histoires. On a dit oui.»
C.B. «Les Chroniques de l’abîme, c’est un recueil de nouvelles d’horreur où chacune prend place à diverses époques et à plusieurs endroits du globe. Toutes ont néanmoins en commun la source de leur horreur: une force mystérieuse qui repose au centre de la Terre et au contact de laquelle les humains ne peuvent que sombrer dans la plus sinistre des folies. Dans le livre, on adapte cette idée à plusieurs scénarios d’horreur classiques: on a une histoire de loup-garou, de “zombies”, de tueur en série, d’une maison maléfique, et même d’un petit “creature feature” de Gremlins!»
P.B. «C’est moi qui suis arrivé avec mes dessins sous le bras pour leur proposer de développer un projet commun. À la base, je leur avais suggéré de faire une adaptation de la Mine de Gagnon en BD, mais le projet a rapidement évolué avec le temps. Les Éditions de l’Homme étaient intéressées, mais l’équipe voulait plus d’histoires. On se retrouve finalement avec des nouvelles illustrées et un tout petit peu de BD, saupoudrée çà et là pour faire des ponts entre les histoires.»
Donc, à travers ce livre, vous souhaitiez raconter des récits terrifiants, à savoir «cinq histoires qui ouvrent une brèche sur l’abîme, cette immensité effrayante». Mais on s’entend: ce ne sont pas juste des histoires à dormir debout à la Hitchcock, n’est-ce pas? On parie qu’il y a une part de vous qui voulait avant tout tenter de résoudre certains de ces mystères!
S.P. «C’est certain, on haït tous ça lorsqu’il manque un morceau à notre casse-tête. En utilisant des faits réels, des mystères de notre histoire comme base pour nos fictions, le plaisir était justement de boucher les trous béants de ces cas réels pour en donner un sens, un semblant d’explication.»
«Toutefois, on s’est inspiré de Poe et de Lovecraft, des auteurs d’horreur cosmique qui ne donnent pas (ou peu) de réponse. Ce qu’on a tenté de faire, c’est de donner des clés au lecteur, des pistes de réflexion, si on veut, mais chaque porte s’ouvre sur un autre mystère, sur une nouvelle question. C’est plus intéressant si le lecteur se fait sa propre idée et s’il relie les points entre les différentes histoires pour définir, à sa façon, ce qu’on expose. Sauf qu’ici, en plus, on s’est amusés à distorsionner la réalité pour mieux la remodeler et lui faire dire ce qu’on veut.»
C.B. «Simon et moi, on se dit souvent entre nous: “Les meilleurs mensonges sont ceux qui sont ficelés de vérité”, et c’était un peu l’approche pour ce projet. Ce sont donc cinq histoires basées sur des faits réels (ou, tout du moins, des légendes issues d’évènements indéniables), mais dont le trajet est truffé de fiction; l’idée étant, à partir de là, de s’amuser à imaginer tout ce qui vient avant l’indéniable… Et ça, ça peut être n’importe quoi… ce qui est très stimulant.»
P.B. «Résoudre des mystères, je pense qu’on a tous ça en nous. L’humain aime résoudre des problèmes. En lisant les histoires de Simon et de Charles, on a vraiment eu envie d’aller plus loin, de chercher à trouver ce qui se cache en dessous. Mais eux, ils s’amusent à nous donner des demi-réponses, ce qui fait qu’on turbine du cerveau pour remplir les vides, et c’est ça qui m’interpelle en tant que lecteur. Et, comme dessinateur, ça me laisse énormément de place pour instiller encore quelques idées de mon cru pour pouvoir perdre encore un peu le lecteur!»
Vous avez l’air d’être tous des adeptes d’histoires d’horreur! Ne vous en cachez pas! On jase: si vous aviez la chance inouïe, et c’est le mot!, de rencontrer en chair et en os un personnage monstrueux et marquant du cinéma d’horreur, réel comme fictif, qui choisiriez-vous, et de quoi aimeriez-vous jaser avec lui… juste avant qu’il pète les plombs et que vous vous enfuyiez à toutes jambes?
S.P. «Je trouve que les humains peuvent être plus terrifiants que tous les monstres du cinéma d’horreur, à vrai dire, et je réalise que ça en dit long sur mon choix. Je m’enfilerais bien un scotch avec Freddy Krueger, qui était un tueur d’enfants avant de devenir Les griffes de la nuit.»
«D’abord, parce qu’il est le premier cauchemar dont ma mémoire se souvienne, j’avais alors cinq ans. Mais aussi parce qu’il est “funné“, bruyant mais brillant, pis j’aime son arrogance extravagante. Cela dit, on sait tous que cette soirée pourrait ne pas bien finir. C’est-à-dire sur l’air de “Ce n’était qu’un rêve” de Céline Dion.»
C.B. «J’aimerais profiter d’un souper chez Hannibal “le cannibale” Lecter. La conversation risque d’être à glacer le sang, mais en fin de compte, je suis certain qu’on serait d’accord sur pas mal d’affaires. Au pire, c’est un psy, je suis certain que ça ne peut que faire du bien.»
P.B. «Quand j’étais ado, j’ai lu énormément sur les vampires et j’ai bouffé pas mal d’histoires d’Anne Rice. L’idée derrière Entretien avec un vampire m’a toujours fasciné, et la façon dont les thèmes de l’immortalité, du consentement et surtout du rapport au changement du monde sont exploités, ça m’a vraiment beaucoup plu.»
«Du coup, discuter avec un vampire me botterait vraiment. Et tant pis si c’est un vampire qui brille le jour; je pourrai toujours lui demander pourquoi il se fait passer pour un lycéen alors qu’il a 400 ans!»