LittératureL'entrevue éclair avec
Crédit photo : Yannick Fornacciari
Jonathan, tu vis à Montréal et travailles actuellement en librairie depuis de nombreuses années, où tu as la chance de passer ton quotidien entouré de livres et de leurs bonnes odeurs! Qu’est-ce qui t’a poussé, plus jeune, à vouloir consacrer ta vie à la littérature et à l’écriture?
«L’intérêt pour la littérature et, plus particulièrement pour la poésie, s’est manifesté très tôt chez moi. Quand j’avais huit ans, j’ai vu Cyrano de Bergerac au cinéma en compagnie de mon père. Je n’ai pas saisi chaque détail de l’histoire, étant donné la richesse des vers d’Edmond Rostand, mais j’ai été ébloui par l’éloquence du personnage principal qui utilisait le langage d’une manière totalement nouvelle pour moi. C’est alors que j’ai commencé à écrire de courts poèmes dans un cahier Canada.»
«Quelques années plus tard, ma mère, qui lisait plusieurs livres par semaine, en plus de travailler en librairie, m’a offert le recueil de poésie d’Émile Nelligan qu’elle avait lu au cégep. Cette découverte a été phénoménale et, immédiatement, je me suis laissé emporter par le rythme, les sonorités et les images de ce poète.»
«Pendant mon adolescence, je composais des sonnets d’une facture très classique. Parallèlement à cette pratique, je rédigeais aussi des poèmes surréalistes inspirés par Breton, Éluard et Artaud. Une fois à l’âge adulte, c’était tout naturel de m’inscrire au programme d’Études littéraires à l’UQAM. En 2013, Je parle arme blanche, mon premier livre, a été publié aux Éditions du Noroît; c’est également cette année-là que j’ai trouvé un emploi en librairie.»
On avait déjà vu circuler ton nom, puisque tu as fait paraître, de 2013 à 2018, trois recueils de poésie, Je parle arme blanche (Prix de poésie des collégiens), La parade des orages en laisse (finaliste au prix Alain-Grandbois) et Ravissement à perpétuité Prix Émile-Nelligan). Parle-nous brièvement de chacun d’eux et dis-nous franchement: où trouves-tu ton inspiration et tes fils conducteurs?
«D’entrée de jeu, il faut savoir que le thème qui relie mes trois premiers livres est la révolte. Dans Je parle arme blanche, il s’agit d’une révolte personnelle qui n’est pas sans rappeler la fièvre de l’adolescence.»
«Dans La parade des orages en laisse, la révolte est davantage sociale. Une partie de ce livre décrit une révolution et les conséquences de celle-ci pour les insurgés qui doivent maintenant régner sur un territoire qu’ils viennent de saccager.»
«En ce qui concerne Ravissement à perpétuité, la révolte est davantage métaphysique, j’oserais même dire spirituelle. Par contre, ce thème teinte beaucoup moins ce livre que les précédents, car je souhaitais explorer d’autres enjeux comme l’extase, la compassion, le voyage et la filiation.»
«À propos de l’inspiration, j’avoue que je suis une personne très curieuse et que j’ai constamment besoin d’être en contact avec des déclencheurs d’idées. Ainsi, mon appartement est rempli d’objets de toutes sortes: livres, vinyles, affiches, vieilles cartes postales, souvenirs de voyages. Il s’agit là de créer un univers esthétique qui soit propice à la création. De cette façon, les idées germent en moi et peuvent croître parfois même sans que je m’en aperçoive.»
Le 15 septembre, tu dévoileras Biographie de l’amoralité, à paraître très prochainement aux Éditions du Noroît. Voilà un autre titre que l’on trouve bien original! Dans ce plus récent recueil de poésie, il est question d’une sculptrice cloîtrée dans un atelier avec deux de ses modèles, mais aussi de désir absolu, de performances et d’obsession. Raconte-nous donc d’où t’est venue l’idée, et quel.s émotion.s cherches-tu à faire naître chez ton lecteur?
«En 2017, j’ai vu une photographie de L’Esclave mourant de Michelangelo, et j’ai tout de suite été subjugué par cette œuvre d’art où douleur, extase et beauté s’entremêlent.»
«J’ai donc commencé à écrire des poèmes autour de la sculpture et, rapidement, la question de l’énonciation s’est posée. Je n’avais pas envie d’employer le je ou le tu, alors j’ai développé les personnages de Dominique, une sculptrice exaltée, et de ses acolytes, Louis et Laurence, qui s’enferment dans un atelier pour créer. Assez rapidement, j’ai écrit une trentaine de poèmes, et j’ai alors décidé d’intégrer dans ce projet deux univers qui me fascinent, c’est-à-dire la mode et le hip-hop.»
«De par la présence de personnages, mais aussi d’un fil narratif qui va du début à la toute fin, Biographie de l’amoralité emprunte beaucoup d’éléments au roman.»
«Au fil des poèmes, je souhaite que le lecteur se laisse emporter par la frénésie créatrice de Dominique qui, à la manière d’une tornade, emporte tout sur son passage.»
Accepterais-tu de nous dévoiler, dans son intégralité, l’un de tes poèmes favoris de ce recueil, histoire qu’on puisse bien s’imprégner de ton style et de la force de tes mots? On serait curieux d’en lire un aperçu!
«J’ai choisi ce poème, car il donne un bon aperçu de la place qu’occupe la sculpture dans ce livre».
Menhir de briques
sur une photographie
préférable de baisser le regard
silence de monastère
mais que dissimule la construction
trésor d’un conquistador repentant
opéra en quarantaine
roseraie aux fleurs si lourdes
que l’odorat va s’effondrer
à l’endos une inscription en italien
fortification pour protéger
le David de Michelangelo
lors de la Seconde Guerre mondiale
quelle fausseté quelle candeur
le dispositif empêche la statue de s’attaquer
à qui oserait s’en prendre à Florence
Si ton éditeur te donnait carte blanche pour réaliser, le projet littéraire de ta vie, et ce, sans aucune contrainte temporelle ou financière, quel format entre l’essai, la biographie, le roman ou la poésie choisirais-tu, et de quoi aurais-tu envie de nous parler?
«Je choisirais la poésie, non seulement parce que j’affectionne beaucoup ce genre littéraire, mais parce que je veux l’explorer à fond.»
«En ce sens, je rêve de publier un livre de grand format, comme Un coup de dé n’abolira jamais le hasard de Mallarmé. Dans cette optique, je désire jouer avec la typographie, la police et la taille du texte. Chaque détail serait minutieusement calculé: je ne voudrais pas donner l’impression de me livrer à des expérimentations purement esthétiques. J’aimerais également que certains passages soient imprimés en rouge ou en bleu pour changer du noir, qui est toujours utilisé en imprimerie. Je me souviens d’un livre de Martine Audet où certains mots sont imprimés en différentes teintes de gris, ce qui donne un effet assez saisissant!»
«Cependant, je me doute bien que le coût d’un tel livre serait sans doute un peu élevé, mais bon, je me permets de rêver!»