«Flourish//Perish» de Braids – Bible urbaine

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«Flourish//Perish» de Braids

«Flourish//Perish» de Braids

Un album double à la fois sensible et cérébral

Publié le 12 septembre 2013 par Emmy Côté

Crédit photo : Flemish Eye

En 2011, Braids avait accouché de Native Speaker après y avoir travaillé d’arrache-pied. Les quatre jeunes membres géraient leur propre enregistrement – leur premier, par-dessus le marché! – et avaient alors tout à apprendre. Mais, l’album avait été loin, se méritant une nomination au Prix de Musique Polaris. Aujourd’hui, Braids continue d’épater la galerie avec ce deuxième LP intitulé Flourish//Perish dont l’essence se veut à la fois vulnérable et insaisissable.  

Native Speaker possédait ce son fondamentalement indie rock. Les instruments – clavier, batterie et guitares – ainsi que la voix riche de Raphaelle Standell-Preston se partageaient la tâche pour obtenir un compromis qui se situait à quelque part entre ce qu’avaient réalisé, dans les années 1980, Cocteau Twins et The Sugarcubes et, plus récemment, Animal Collective. Les membres, Austin Tufts, Taylor Smith, Katie Lee, en plus de la chanteuse, y exposaient leurs instruments dans ce qu’ils avaient de plus intimes, parvenant à faire ressortir une musicalité dont la robe était onctueuse et remplie de subtilités. Plus encore, on savait exactement quand revêtir le blouson délinquant pour estomaquer! La formation nouvellement établie à Montréal paraissait avoir puisé aux confins de son inventivité, notamment sur les très réussies «Lemonade» et «Glass Deers».

Influencé par ses rencontres de tournée au cours des deux dernières années, Braids a toutefois choisi de s’éloigner des sentiers déjà foulés et de s’ouvrir à un nouveau genre. En effet, Flourish//Perish s’engage sans hésitation sur la voie de l’électronique. Les guitares rangées au placard, le quatuor devenu trio, la claviériste Katie Lee ayant quitté le convoi en cours de route, a parié sur trois choses: les structures en boucle, les sonorités incongrues et trafiquées, et le timbre délicieux et fragile de Standell-Preston.

Flourish//Perish a un substrat résolument raffiné et épuré. Les multiples étagements sonores ne deviennent jamais belliqueux, même quand les notes entrent en concurrence, voire en collision. Des mixages de bruits étranges viennent et partent sans qu’on s’en rende tout à fait compte et cette finesse musicale excite l’oreille. À titre de comparaison, l’offrande copine avec la douce électro-pop nocturne de Purity Ring. Le premier titre «Victoria» lui emprunte la superposition de schèmes répétitifs et les percussions aigües et rapides comme des cliquetis. C’est sans compter que la voix légère de Standell-Preston s’apparente grandement à celle de Megan James. La façon de chanter sur le deuxième morceau, «Fruend», a aussi beaucoup en commun avec ce qu’avait servi l’an passé l’ingénieuse Claire Boucher (Grimes). Retenons que les compositions sont moins accessibles cependant; le band adopte une version franchement plus posée dans le genre.

À vrai dire, la force inestimable de Braids, en 2013, réside dans ses textes davantage matures, réfléchis et profonds. Native Speaker abordait notamment la sexualité avec ce petit quelque chose d’encore adolescent, alors que Flourish//Perish ose l’étalement de l’âme, ne refusant pas ses connections complexes et ses incohérences. Les mots couchés sur papier par la chanteuse prennent la forme de ses pensées, parfois contradictoires, souvent tristes.

Sur «December», la jeune femme déçue et confrontée à une rupture chante: «Cross my fingers hope to die / Ask myself aloud reprise / Is there a life after a goodbye». Le côté impénétrable de la musique confère en revanche un caractère paradoxal à l’ensemble, comme si l’émotion était gelée. En quelque part, elle ramène à la mémoire la puissante «All Is Full of Love» (1997) de Björk. Plus tard, sur «Ebben», les airs de victime de Standell-Preston s’évanouissent, tandis qu’elle assassine froidement ses rêves dans cette poésie remarquable: «Up in front of me / Oh I could grab them / Shoot them and stab them». On s’interroge sur les motifs de son offensive: est-elle dictée par une lucidité méfiante? On est absolument déchiré lorsque sa voix s’éteint sur ce: «Save them you want to».

Les textes sont d’autant plus importants que la trame est délicate, idéalement dosée en sonorités déconcertantes. Mais, impossible de nier que celle-ci est infiniment travaillée, ce qui se constate à l’écoute de «Together» ou encore de «In Kind», totalisant huit minutes. Cette dernière chanson s’amorce lentement sur une ligne sublime et vaporeuse à laquelle se fixent ensuite des sons intermittents qui viennent comme des électrons fuyants, diffus et en accélération. Un battement insistant, en surface, vient même cadencer le chant de Standell-Preston. La composition prend ensuite une tournure pop-rock qui rappelle aussitôt le précédent album. Les percussions bien présentes tout au long se multiplient dans un crescendo unique. La chanteuse s’emballe et se permet enfin quelques écarts à la Karen O (Yeah Yeah Yeahs), les seuls repérés sur Flourish//Perish. Elle scande machinalement d’une voix qui salit au passage: «Left my conscience / In quotations said just what they wanted to / Say it isn’t true». On frissonne de plaisir. Cette dernière chanson est sans contredit l’une des plus accomplies du groupe jusqu’à présent.

Ainsi, sur Flourish//Perish, la fragilité humaine semble s’attacher à une musique parfaitement orchestrée; l’amalgame est aussi touchant et organique qu’implacable. Tout comme son titre double, l’album embrasse les oppositions. En somme, voilà une excellente trame suscitant l’introspection qu’il faut impérativement imposer à son lecteur de musique (et à ses tympans) lors de soirées de solitude.

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