ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Suzanne O'Neill
Le décor d’Olivier Landreville reproduit avec charme l’appartement d’un intello d’un certain âge, avec un mur de livres et l’iconique table tournante dans un coin, une minuscule salle à manger et un salon où «refaire le monde».
On y retrouve le metteur en scène britannique Leigh (Frédéric Blanchette) et l’acteur américain oscarisé Jay (David Boutin), qui attendent la dramaturge irlandaise Ruth (Lauren Hartley) pour discuter de la pièce qu’elle a écrite et qu’ils vont monter ensemble dans un théâtre de Londres.
Leur discussion prend une tournure un peu étrange alors que Jay enfile quelques affirmations choquantes sur le viol. Le climat est déjà tendu lorsque Ruth arrive en retard à cause d’un accident de voiture en chemin vers l’aéroport. La discussion sur la pièce s’entame d’une belle façon, mais se met à déraper lorsqu’il devient clair que Jay, qui s’avère mégalomane et contrôlant, a très mal compris le propos du texte.
Le théâtre ayant pour thème le théâtre pose toujours un regard légèrement critique – et souvent fort intéressant – sur la profession, mais ce n’est pas exactement là où Ulster American fait mouche. La force du texte réside dans son exploration adroite et son exposition sans complaisance du mansplaining, un sujet omniprésent qui nous fait tour à tour grincer des dents, rire à gorge déployée et sourciller à plusieurs reprises.
Lauren Hartley, dans la peau de Ruth, demeure imperturbable et d’une solidité hallucinante, même lorsqu’elle se fait expliquer une mauvaise interprétation du texte qu’elle a elle-même écrit.
Les monstres sacrés se remettent rarement en question
David Boutin est survolté dans le rôle de cet acteur à l’ego gigantesque, que sa popularité isole de la critique, et qui déblatère tout ce qui lui passe par la tête. Frédéric Blanchette, pour sa part, est conciliant et sirupeux dans le rôle de l’arbitre, qui finit évidemment par joindre l‘avis de l’autre mâle, s’enfonçant de plus en plus dans une rhétorique douteuse et un manque flagrant d’empathie.
Il serait difficile de ne pas noter avec un certain amusement que l’auteur de la pièce, un dramaturge irlandais primé, porte le nom de son pays comme nom de famille. Ireland a écrit l’oeuvre en 2017, mais elle n’a thématiquement pas pris une ride. Ses interprètes défendent avec beaucoup d’énergie ce spectacle sans temps mort, pendant lequel un rictus à mi-chemin entre le rire et le malaise ne nous quitte pas, heureusement dissimulé par notre masque.
L’actualité et l’intelligence du propos nourrissent la réflexion sur ces artistes d’un certain âge qui croient toujours être du bon côté de l’histoire, ne jamais avoir tort, et qui sont persuadés que les hommes blancs mûrs devraient «laisser leur place aux autres un peu», sans vraiment se porter volontaires.
La compétition est féroce, certes, mais on ose affirmer qu’il s’agit d’une des meilleures pièces de la saison.
«Ulster American» de David Ireland en images
Par Suzanne O'Neill
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de la rédaction