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Tantôt, demain peut-être s’intéresse à ces mères qui, finalement, n’auraient pas souhaité le devenir. Au fil de la pièce qui se déploie comme une conversation téléphonique, on apprend à connaître une mère qui entretient un rapport trouble à la maternité, ponctué de regrets et de nostalgie.
Marie Ayotte travaillait sur cette pièce depuis déjà trois ans avant de la lancer officiellement le 4 juin dernier. Propre à une démarche documentaire, elle a construit son personnage à la suite de rencontres avec des experts et des mères qui entretiennent un rapport conflictuel face à leur maternité.
Inspirée par le Candle House Collective de Chicago, elle a décidé de se lancer dans ce concept au téléphone, en pleine pandémie. Un médium innovant qui se prête merveilleusement aux questions posées.
Une expérience personnalisée, à la fois touchante et déconcertante
Chaque «représentation» de la pièce est unique. Loin de moi l’idée de prétendre raconter le vécu de tous les participants, voici néanmoins un aperçu de mon expérience, question d’avoir une idée de ce que propose Tantôt, demain peut-être.
Le week-end dernier, j’ai donc accepté de prendre part à cette expérience pour le moins nouvelle pour moi. J’avais pris rendez-vous au téléphone à 20 heures pile. Un numéro masqué allait m’appeler. Je devais me trouver dans une pièce sombre et silencieuse.
N’en déplaise à mes amis curieux d’entendre notre conversation, la compagnie Théâtre Déchaînés était catégorique: la conversation ne pouvait pas se faire en main libre et devait se dérouler seul à seul. Maintenant, je comprends mieux toute la pertinence de ces précautions.
D’abord, la seule comédienne de la pièce, en l’occurrence Andrée-Anne Giguère (elles sont trois comédiennes différentes à se partager le rôle pour les différentes représentations), avait besoin du plus haut niveau de concentration possible. Bien qu’une partie importante de la conversation reposait sur le texte d’Ayotte (qu’elle interprétait avec beaucoup de conviction et d’émotions, d’ailleurs), elle devait aussi utiliser mes réponses et ma réceptivité à l’expérience pour composer son rôle et diriger la suite de ses réflexions.
C’est probablement l’expérience de théâtre la plus intime et stimulante que j’aie vécue.
En effet, la protagoniste, une mère nostalgique dont le nom n’est jamais mentionné, affirmait être nulle autre que ma propre mère. «Je suis tellement contente d’entendre ta voix», m’a-t-elle dit, dès les premières secondes. «J’étais très nerveuse à l’idée de te parler». Elle s’est ensuite lancée dans une conversation brise-glace avec moi, pour savoir ce que j’étais devenu après toutes ces années, pour prendre des nouvelles de mes amis, de mon travail, de mes études. J’étais à la fois séduit et déboussolé: je ne m’attendais pas à devoir autant participer.
Probablement comme tous ceux qui ont pris part à la pièce avant moi, j’ai accepté de jouer le jeu. J’allais parler avec ma mère pour la prochaine heure.
La théâtre téléphonique: un médium fort de possibilités poétiques et philosophiques
Alors que les débuts de ma conversation avec «ma mère» avaient d’abord l’air d’un maladroit effort de sa part, tentant de nous rapprocher après des années de relation trouble et distante, elle est devenue, par la suite, de plus en plus littéraire. Elle poussait davantage la réflexion sur le stress de performance que vivent les mères en Occident et sur plusieurs facettes toujours tabous de leur rôle maintes fois incompris.
Tour de force de l’autrice en temps de confinement: le regard unique de la pièce sur la maternité s’avère beaucoup plus éloquent au téléphone, dans ce contexte où le public est forcé de réfléchir et de visualiser sa propre mère, ses propres souvenirs d’enfance, et peut-être éventuellement sa propre expérience de la parentalité.
Tantôt, demain peut-être nous rend sympathiques à l’égard de cette femme qui pourrait vraiment être notre mère et qui nous raconte les difficultés avec lesquelles elle a assumé son rôle. Elle nous dit, par exemple, qu’elle n’a jamais eu l’impression, contrairement à ce qu’on lui avait dit, que le jour de la naissance de son enfant serait le plus beau et le plus accompli de sa vie.
Elle nous raconte sa lourde dépression suite à la réalisation que la maternité n’était peut-être pas pour elle. Elle théorise sur les possibles sources de son anxiété. Elle nous fait part de ses regrets, des possibilités qui auraient pu s’offrir à elle si elle n’avait pas eu d’enfant. Si elle ne m’avait pas eu.
Elle s’excuse. Elle a honte. Difficile de ne pas la comprendre, de ne pas s’imaginer à sa place. Si son histoire est bel et bien inspirée de celles de vraies mères québécoises, elle mérite certainement d’être ainsi racontée et incarnée. On pardonne donc à la pièce son côté parfois très écrit et littéraire, où la comédienne lance de longues tirades à la fois explicatives et émotives sur la difficulté incomprise des mères, s’éloignant de la légèreté de la conversation téléphonique. C’est plutôt efficace et bien dosé.
Puis, même si je suis resté chez moi pour vivre l’expérience, on m’a forcé à me plonger dans mes propres souvenirs d’enfance, à m’imaginer des jardins, des homards en Gaspésie, des couchers de soleil dans l’Ouest américain, des rues de Montréal… Belle mise en scène pour aussi peu de moyens.
Difficile de véritablement «critiquer» la pièce tellement elle surprend et détonne par rapport à nos attentes habituelles au théâtre. Quoiqu’il en soit, l’expérience en vaut la peine. On en apprend beaucoup sur soi-même et sur ces mères qui méritent d’être entendues.
Alors que les arts de la scène nous manquent toujours, heureusement, d’autres formes d’art comme celle-ci peuvent émerger en parallèle!
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de la rédaction