«Showtime» du Projet Bocal au Théâtre Duceppe

On a bien failli voir la première œuvre linéaire écrite par le trio, après un triptyque de créations originales complètement inclassables (Le projet bocal en 2013, Oh Lord en 2014 et Le spectacle en 2016), ainsi que deux adaptations de dramaturges étrangers qui tombaient pile dans leur univers (Perplex(e) en 2018, et Fairfly l’an dernier).

Mais le chaos et l’inattendu ont encore une fois gagné, et Showtime prend évidemment de bien réjouissants détours. Quand l’imagination ne nous fait pas défaut, être allergique à une structure traditionnelle est une force.

On retrouve nos trois camarades avant le lever du rideau, alors qu’ils nous préviennent que le spectacle sera totalement improvisé, et que les sous qu’ils ont reçus d’une commandite des Fromages d’ici seront entièrement remis à l’association caritative pilotée par Jean-Guy Boulette.

Un coup d’audace, donc, qui se retournera rapidement contre eux lorsque l’inspiration manquera à l’appel.

Photo: Danny Taillon

Mise(s) en abîme

Les trois amis, entourés d’une belle brochette de sept interprètes (parmi lesquels on retrouve Éric Bernier et Étienne Lou, notamment), se moquent d’une quantité appréciable de conventions, jouant avec les codes du «gros théâtre américain», proposant des numéros musicaux inattendus, une parodie presque douloureuse du théâtre expérimental, un numéro de théâtre documentaire hallucinant de perspicacité, et un rap battle particulièrement vulgaire, l’un des meilleurs moments de cette salve en dents de scie.

Et bien sûr, ils lancent aussi des flèches bien senties au Théâtre Duceppe, ainsi qu’à leur commanditaire. Les nombreuses mentions des Fromages d’ici, d’ailleurs, nous ont ouvert l’appétit. Une autre ironie? Les plateaux de fromages habituellement immanquables au terme de chaque première, offerts aux spectateurs se déversant de la salle, étaient cette fois-ci absents.

S’il y a de l’esprit, par exemple, dans une (trop) longue série de numéros dansés et chantés en hommage à Cats, on n’en saisit qu’une partie, le volume assourdissant de la musique et les danseurs essoufflés étouffant parfois les paroles. C’est dans les instants où les dramaturges discutent de leur création, un monstre de Frankenstein théâtral, que le propos est le plus intéressant. Querelles, jalousies, doutes: un matériau fertile si on sait, tout comme elleux, l’exploiter.

On sent que le résultat final est une tapisserie où tout le monde – public inclus – s’amuse beaucoup, et le fait que les rebondissements ayant mené à cette structure inhabituelle soient dramatisés pour le public ajoute une couche supplémentaire d’ironie à l’ensemble. Le rythme est vif et on ne s’ennuie guère, et ça fait du bien de retrouver le Projet Bocal en grande forme.

On découvre également, et avec un grand bonheur, qu’ils investissent l’espace à leur disposition avec une imagination débordante et une inventivité au service de leur profond délire. Même s’il est parfois difficile de concilier les divers changements de ton, force est d’admettre que les morceaux finissent par s’imbriquer les uns dans les autres, avec comme fil conducteur la fantaisie mordante qui a fait la réputation du trio.