«Un. Deux. Trois» de Mani Soleymanlou au Théâtre Duceppe – Bible urbaine

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«Un. Deux. Trois» de Mani Soleymanlou au Théâtre Duceppe

«Un. Deux. Trois» de Mani Soleymanlou au Théâtre Duceppe

Lucide odyssée

Publié le 7 novembre 2022 par Pierre-Alexandre Buisson

Crédit photo : Jonathan Lorange

Mani Soleymanlou ne parle pas de l’Iran parce que «c’est à la mode». Il y est né, et son identité un peu schizophrène – il a aussi vécu à Paris, Toronto et Ottawa, et est depuis belle lurette établi à Montréal – est le jus dramaturgique qu’il presse depuis le tout début de sa carrière théâtrale.

Il le disait carrément dans Zéro – Soleymanlou refait sans cesse le même show. Comme beaucoup d’artistes explorant sans cesse des thématiques obsessionnelles, il en est même, depuis quelques années, à l’étape où il revient sur son œuvre avec un œil nouveau, comme s’il avait «bouclé la boucle» avant l’heure; Zéro, brièvement présenté à La Chapelle en 2019, était un texte pétri d’autoréférencement, présenté sous forme de bilan, et son titre laissait deviner qu’il pouvait aussi bien s’agir d’un dixième volet à son long corpus, ou littéralement une renaissance artistique.

Il revient ces jours-ci à travers le Canada sur ses trois premières œuvres présentées en mode «trilogie», dans une tournée qui l’amène dans plusieurs communautés francophones à travers le pays.

Photo: Jonathan Lorange

Les chiffres, toujours les chiffres

Un, qui est d’ailleurs toujours disponible en webdiffusion sur TOU.TV, est une excellente mise en bouche pour tous les spectacles qui allaient suivre; le dramaturge y revient sur sa jeunesse vécue en exil, les raisons du départ de sa famille, et son adaptation aux diverses régions habitées en succession rapide. Il s’agit aussi d’un guide touristique grinçant de l’Iran qui ratisse large, de sa géographie à sa répression, de sa cuisine à sa politique.

Un texte qui n’a pas pris une ride en dix ans et qui, dans un lugubre concours de circonstances de l’actualité, est plus pertinent que jamais.

Il est fort intéressant de voir Deux immédiatement après, une pièce-miroir d’Un, qui devient une conversation entre un artiste de théâtre tourmenté par son identité et un autre, son ami, Emmanuel Schwartz, un juif québécois ayant grandi dans NDG sans jamais s’interroger sur son héritage.

Un texte où de vastes pans d’Un sont repris textuellement, distendus, essorés, éclairés par la lumière nouvelle du dialogue et de la rencontre avec l’autre.

Photo: Jonathan Lorange

En me rendant au Théâtre Duceppe pour un marathon de 4 h 30 de théâtre, une question m’habitait: comment allait-on actualiser les enjeux soulevés par Trois, une pièce écrite avec la participation des multiples interprètes, présentée au FTA en 2015? Soleymanlou a démoli les murs de sa forteresse et rénové l’œuvre, avec 36 interprètes francophones en provenance d’un peu partout au Canada, leurs idées et leurs préoccupations, leur énergie tonitruante, leur propos absolument contemporain.

Trois est ce qu’on appelle le clou du spectacle, un chaos organisé et jubilatoire, un moment incomparable dans l’histoire du théâtre québécois; une excentricité qui, sur papier, appelle la catastrophe, mais que sa chorégraphie minutieuse et impeccable transforme en miracle.

Comment réunir autant d’idées éparses, en faire quelque chose de cohérent malgré le haut niveau d’énergie et les dialogues constamment hurlés, et y insérer des morceaux de danse qui, non seulement époustouflent, mais servent le propos?

Photo: Jonathan Lorange

L’identité, un sujet incontournable et inépuisable dont nous pourrions discuter toute notre vie. Comment en vouloir à Mani Soleymanlou d’en faire la raison d’être de sa carrière? Il nous prouve ici que, loin d’en tirer des spectacles statiques et répétitifs, il réinvente constamment la formule, et fait preuve d’une ouverture inouïe à la parole de l’autre, à faire briller ses pairs, et il n’hésite pas, dans un grand exercice d’humilité, à non seulement se moquer de lui-même, mais aussi à laisser d’autres le faire.

La prochaine fois qu’une production laissera entendre qu’il est particulièrement difficile de combler un casting quelconque, par manque de diversité ou de relève, j’aimerais qu’on se souvienne de ce moment, où 36 jeunes (et moins jeunes) de divers origines et parcours, arrivant autant de la Belgique que d’une communauté francophone du Manitoba, étaient réunis sur scène pour donner une leçon d’ouverture et d’empathie aux spectateurs du Duceppe.

Une leçon étourdissante, tendre, criarde, inclusive et érudite.

«Un. Deux. Trois» de Mani Soleymanlou en images

Par Jonathan Lorange

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