ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Colin Earp-Lavergne
Dans Muliats, Shaniss quitte sa réserve de Mashteuiatsh pour venir s’installer à Montréal. Il n’a jamais vu «la grande ville» et il est impressionné par sa taille, sa densité de population et la diversité culturelle. Il aménage chez Christophe, un sympathique Montréalais d’origine qui est plein de bonne volonté, mais culturellement maladroit. Ils apprendront à se comprendre, à s’apprivoiser, à s’apprécier, soulevant lors de leurs débats de nombreuses problématiques identitaires, discutant racisme et perception sur un coin de table.
Shaniss est parti de son patelin sur un coup de tête, après une discussion enflammée avec son demi-frère Marco – il est métisse, né d’une mère blanche, et a bien du mal à concilier ses deux héritages. Il veut qu’on l’appelle désormais Charles, et embrasse entièrement l’anonymat dont il jouit dans la métropole.
Fruit du travail d’un nouveau collectif de la scène théâtrale québécoise, la compagnie Menuentakuan, Muliats est une œuvre forte et doucement provocante, qui fait rire, qui fait réfléchir, et qui occasionne parfois des petits malaises constructifs chez le spectateur. Le mandat de la troupe est de «promouvoir les arts de la scène autochtones […] par le théâtre et autres événements artistiques», et c’est réussi.
La pièce a été écrite par les quatre comédiens qui la jouent, et ils y conservent leurs prénoms – c’est donc une expérience très personnelle qu’ils partagent avec les spectateurs, avec générosité et candeur. La mise en scène de Xavier Huard est plutôt sobre: la salle se trouve entre deux grappes de bancs, et une longue table brisée y trône, sans doute une métaphore mobilière pour souligner la cassure entre les deux cultures de Charles et Christophe.
Outre la présentation traditionnelle de l’action, on a aussi droit aux interventions de Natasha Kanapé Fontaine, qui interprète ici la voix intérieure de Shaniss, ailleurs un chant traditionnel innu, et aussi une amie raciste de Christophe, devant laquelle Shaniss a une réaction très zen: «Le racisme, c’est de l’ignorance qui se fait passer pour de l’information». Les comédiens sont très convaincants; Charles Bender nous est tout de suite sympathique, et Christophe Payeur est touchant dans sa volonté imperturbable de «comprendre» la culture de son nouveau coloc. Marco Collin, tout d’abord bourru, se révèle finalement nuancé et attachant.
Il y a de longs segments déclamés en langue innue où on ne comprend évidemment pas ce qui se dit, mais le spectateur a droit à une petite leçon de langue et en ressortira avec de nouvelles connaissances très poétiques.
La pièce est présentée à la salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier jusqu’au 20 février 2016.
L'événement en photos
Par Colin Earp-Lavergne
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