«L’homme du sous-sol» de Fédor Dostoïevski au Théâtre Prospero – Bible urbaine

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«L’homme du sous-sol» de Fédor Dostoïevski au Théâtre Prospero

«L’homme du sous-sol» de Fédor Dostoïevski au Théâtre Prospero

Épatante introspection dans les dédales d’un esprit torturé

Publié le 6 février 2016 par Benjamin Le Bonniec

Crédit photo : Alexandra Camara

L'année 2016, c'est le 40e anniversaire du Groupe de la Veillée. Pour cette occasion, la compagnie théâtrale du Théâtre Prospero récidive en puisant une nouvelle fois dans l’oeuvre de Dostoïevski, après les adaptations théâtrales de L’Idiot (1983 et 1991) et Crimes et châtiments (1997). Cette année, la compagnie réalise même un coup double en proposant à la fois Le Joueur, dans la grande salle, et L’homme du sous-sol, dans sa salle intime. Et pour l’adaptation des Carnets du sous-sol de l’incontournable dramaturge russe, le metteur en scène et comédien d’origine kosovare, Simon Pitaqaj, nous plonge dans l’intimité de cet homme du sous-sol. Truffée d’originalité, ingénieuse à défaut d’être limpide, cette nouvelle retranscription pousse le spectateur dans un voyage intérieur entre jubilations et désillusions.

En toute quiétude, la quarantaine de spectateurs patiente dans l’antichambre du Théâtre Prospero quand, à 20h15 précises, une voix s’élève pour les inviter à s’engager dans l’escalier menant à la salle intime. Mais pas question de s’y introduire; le public est tenu de demeurer dans l’espace confiné du couloir lorsque, tout à coup, un homme se manifeste. Singulièrement vêtu, il s’attache à fixer ardemment et tour à tour chacun des convives.

«Je suis un homme malade», émet-il plaintivement, avant de se reprendre pour signifier qu’il est plutôt selon lui un homme méchant. L’individu commence alors un monologue qui durera plus d’une heure de temps, seulement interrompu par quelques questionnements à l’égard d’un public méfiant au détour de «Messieurs» répétés.

Briser le quatrième mur, Simon Pitaqaj n’a pas hésité à le faire à plusieurs reprises, mais sans oublier de poursuivre à chaque fois le processus introspectif dans lequel il embarquait l’auditoire. Cet homme cavé, miné par la vie, et réfugié dans son sous-sol, tente vainement d’entraîner dans son monde les témoins de ses délires démesurés. C’est un appel au secours que formule cet individu à l’égard d’une société qui l’a détruit à petit feu pendant près de quarante ans.

Le moment venu de pousser la porte de son antre, chacun pénètre curieusement dans un espace où s’agglutinent des marionnettes, mais surtout où se multiplient les citations sur les murs et le portrait de Mona Lisa, La Joconde de Léonard De Vinci. La salle intime du Théâtre Prospero est méconnaissable grâce à la mise en scène ingénieuse et surprenante du directeur artistique de Liria (Pitaqaj); on se croirait presque dans un véritable sous-sol où l’homme y voue un véritable culte à cette Liza convoitée autant qu’arborée.

Des chants albanais s’entremêlent à ce monologue plaintif d’un homme en quête de vérité et d’idéal. Il se démène et se perd entre le conscient et l’inconscient, passe des banalités aux questionnements sur le beau ou le laid, sur la raison, la nature humaine, la liberté et le bonheur. Ce cheminement philosophique se poursuit inlassablement, parfois l’homme craque, s’agace quand une lumière ne fonctionne pas, s’agite et gesticule.

«Qui suis-je?», se pose Simon Pitaqaj. «Un feignant, oui un feignant!» L’homme est plaintif, tourmenté, pris de schizophrénie, et il délaisse à plusieurs reprises une certaine légèreté de ton pour s’adresser au public songeur de la manière la plus acerbe. Corporel et existentiel, le personnage est magnifié par un acteur indissociable du rôle qu’il joue. Pitaqaj alterne admirablement et énergiquement les alternances émotionnelles de cet anti-héros en quête d’absolu.

Se rendant compte qu’il est incapable d’aimer, l’homme demande pardon à Liza. Il implore l’indulgence tant à la société qu’au public, tout en se rendant compte de l’inutilité «de raconter comment il a gâché sa vie». Laissant pantois ce dernier, Simon Pitaqaj se retire sous les applaudissements pour revenir quelques secondes plus tard, dans cette tanière encore fumante, époumoné mais surtout ravi de sa prestation.

Au sortir du théâtre, le spectateur ne peut que féliciter la performance d’un acteur doué et d’un illustre metteur en scène. Surtout, il repart un peu plus conscient de la bêtise humaine en gardant en tête qu’«une erreur originale vaut mieux qu’une vérité banale».

À revoir deux fois plutôt qu’une dans l’intime «sous-sol» du Théâtre Prospero jusqu’au 13 février 2016.

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