ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Caroline Laberge
Manifeste de la Jeune-Fille, c’est un grand miroir de 2h15 sans entracte. Un miroir qui renvoie aux spectateurs toutes leurs contradictions et leurs travers, grâce à une pièce en plusieurs déclinaisons reprenant sensiblement la même formule et le même canevas de répliques, mais en six tableaux explorant différentes thématiques.
D’abord, les apparences et le bien paraître qui laissent place à des répliques dignes de magazines de jeunes filles, avec des tests de personnalité, des horoscopes et des courriers du cœur. Ensuite, l’engagement populaire, dans sa communauté. Être un vecteur de changement et participer à des manifestations.
Être complètement engagé dans l’action, être à l’extrême de l’engagement, dans le terrorisme. Ne plus avoir peur de la mort si elle sert à changer les choses. La déprime, croire que plus rien ne vaut la peine, qu’il n’y a rien qu’on peut faire parce que jamais rien ne va changer et qu’on n’a pas de poids individuellement.
Le théâtre en mise en abîme; parce que quand il n’y a plus rien à faire, il nous restera toujours les arts, et surtout le théâtre pour nous divertir du quotidien, pour faire circuler une parole revendicatrice et pour se faire entendre.
Et comme ultime solution, il reste la réalité virtuelle, cette évasion où, enfin, tout est parfait, comme on le voudrait; où il est possible de s’aveugler, d’aller dans un autre monde pour échapper à la noirceur du nôtre.
Complètement éclatée, la nouvelle production d’Olivier Choinière nous mène donc d’une illusion (celle des apparences) à une autre (celle de la réalité virtuelle), sans doute pour illustrer notre impuissance face à la réalité. Et pour ce faire, elle aborde tellement de sujets que tout le monde est représenté et ne peut que se sentir interpellé. Des personnes zen qui méditent aux zéros-déchets, aux sans gluten, en passant par les hippies qui pensent connaître le «vrai» monde parce qu’ils voyagent partout, une multitude de personnages très bien distribués, qui collent à merveille aux comédiens qui les interprètent, servent à illustrer des propos coup de poing fort bien dosés.
De nombreuses perles et prises de conscience meublent le texte de Choinière, et l’auteur présente une belle lucidité dans le fond, malgré l’humour utilisé pour la camoufler. Et la qualité du texte n’a d’égal que le talent des comédiens, dont les plus jeunes (Emmanuelle Lussier-Martinez et Joanie Martel) n’ont rien à envier aux plus expérimentés comme Gilles Renaud, Stéphane Crête, Maude Guérin, Monique Miller ou Marc Beaupré, et qui ont chacun à leur moment leurs indignations mises de l’avant, leur instant de gloire qui leur permet à tour de rôle de ressortir du lot.
Si en plus les décors de Max-Otto Fauteux sont grandioses et impressionnants, que les innombrables costumes d’Elen Ewing sont absolument ahurissants de beauté, d’originalité et d’éclat, que les accessoires de Clélia Brissaud sont étonnants de crédibilité et que l’utilisation de la vidéo, sous la gouverne de Michel-Antoine Castonguay, s’accorde à merveille avec les propos et l’atmosphère complètement délurée qui règne sur la scène, on a tous les éléments pour faire du Manifeste de la Jeune-Fille une réussite sur toute la ligne, un pur délice.
Bien sûr, il y a une certaine redondance dans la formule, puisque chaque tableau débute exactement de la même façon que le précédent, avec des dialogues calqués mais modifiés selon la nouvelle thématique, et que l’effet de surprise est amoindri au fil du temps de la représentation. Mais malgré tout, l’utilisation ingénieuse de l’espace – la formule en défilé de mode permet beaucoup de déplacements et chacun peut ainsi jouer pour tout le monde –, la richesse des réflexions et des sujets traités, et la singularité de la proposition ne peuvent que confirmer la brillance de la pièce; une brillance éclatante et éclairante.
La pièce Manifeste de la Jeune-Fille d’Olivier Choinière est présentée à ESPACE GO jusqu’au 18 février 2017.
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Par Caroline Laberge
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