«Lysis» au Théâtre du Nouveau Monde: une ode aux femmes qui disent non

C’est d’abord la musique qui m’a frappée dans cette mise en scène tant attendue du public montréalais depuis 2020. Sur scène, un groupe de musiciennes interprète une trame sonore originale de Philippe Brault, où la basse et les percussions se marient à la perfection.

La musique dans ce spectacle prend d’ailleurs, un peu plus tard, toute son importance, au moment où toutes les femmes de la pièce se lancent dans une interprétation émouvante de la chanson «Une sorcière comme les autres» d’Anne Sylvestre. Comme spectateur et spectatrice, nous sommes alors plongé∙e∙s dans cet univers à la fois dystopique et douloureusement réaliste qu’est celui de Lysis.

Puis, chaque personnage est présenté tour à tour, à la manière d’un défilé de mode, question de mettre le public dans le bain, dès les premiers instants.

Photo: Yves Renaud

Une mise en scène percutante

La mise en scène de Lorraine Pintal est sobre, mais réellement efficace. Sur scène, on retrouve seulement quelques lampes, un divan et un jeu de plateformes qui montent et descendent en fonction des personnages présents sur les planches du TNM.

Victor Forest et sa clique, ou encore le Premier ministre, sont quant à eux toujours surélevés par rapport au groupe de militantes dirigé par Lysis. Dans les moments les plus difficiles, les militantes se retrouvent dans une espèce de trou sur la scène, trou qui ressemble étrangement à une sépulture.

Les effets des différents moments de chœur sur scène sont saisissants. À travers eux, on sent la voix à la fois très politique et poétique des autrices, Alexia Bürger et Fanny Britt. 

Lysis, jouée par Bénédicte Décary, travaille pour une importante multinationale pharmaceutique. Son patron, Victor Forest (Jacques L’Heureux) est le stéréotype du patron misogyne, arriéré et condescendant. C’est d’ailleurs ce personnage que j’oserais qualifier de douloureusement réaliste.

En voyant les réactions des femmes assises autour de moi dans la salle, force m’a été de constater une chose bien décevante: nous avons toutes connu un Victor Forest dans notre vie.

Autour de lui, un boys club tout aussi problématique s’assure que les moindres volontés de Victor soient exécutées. Même le Premier ministre William Arès (Jean-Philippe Perras), un personnage tout aussi ignorant et détestable que l’est Victor Forest, semble être à sa merci.

Je mentirais si je disais ne pas avoir reconnu certains traits des dirigeants actuels de notre province dans les traits de ce personnage qui essaie tant bien que mal d’aller chercher l’électorat par les émotions, mais qui demeure complètement déconnecté des enjeux sociaux qui occupent la population.

Photo: Yves Renaud

Dans un discours qui fait rire jaune, le Premier ministre sort ses larmes de crocodile et supplie les femmes de cesser la grève de la natalité.

Du haut de leur tour d’ivoire, ces gens de la haute société nous font réfléchir sur le vrai sens du mot «pouvoir». Est-ce que le pouvoir d’aujourd’hui ne se résume vraiment qu’à l’argent, ou est-ce en fait quelque chose de beaucoup plus gros?

Le personnage de King (Widemir Normil), homme de main (ou plutôt faire-valoir) de Victor Forest, est l’incarnation même de ce questionnement. Faisant partie d’une minorité racisée de la communauté, il a dû travailler extrêmement fort afin d’obtenir un poste au sein du groupe Forest. Il est aujourd’hui grassement payé, mais il travaille néanmoins pour une compagnie à la boussole morale complètement brisée. Lucide, King sait bien que sa fille, Atlanta, militante et amie de Lysis, a honte de lui. Mais il continue de croire que si cet argent permet de faire vivre leur famille, il a pris la bonne décision en continuant de travailler pour Forest.

Malgré son dégoût, Lysis continue elle aussi de travailler pour le groupe Forest, car elle a une motivation qui surpasse tout le reste. C’est qu’elle souhaite détruire le système de l’intérieur avec l’aide de Myra (Olivia Palacci), Atlanta (Sally Sakho), Atanke (Nadine Jean) et Cléo (Cynthia Wu-Maheux), ses compagnes militantes qui travaillent jour et nuit à l’élaboration de divers coups d’éclat et à la rédaction de listes de dénonciations anonymes.

«Ils ont fait le monde sans nous, nous cesserons de faire le monde». C’est la devise que se donne le groupe de Lysis lorsque ces femmes décident de mettre en branle la grève de la natalité. Coup de génie, ou idée extrémiste qui ne peut que mal tourner? Seul le temps nous le dira…

Photo: Yves Renaud

Un monde sans naissances

Quatre ans. Quatre ans sans qu’il n’y ait de naissances. C’est le moyen de pression qu’utilise le groupe activiste de Lysis pour s’assurer d’être entendu. Aussi long qu’un mandat politique, c’est la durée que se donnent ces femmes pour récupérer les droits qui leur reviennent. Éluan (Steve Gagnon), l’allié et amoureux de Lysis, supporte leur combat coûte que coûte, jusqu’à ce que cette décision radicale ait des répercussions directes sur sa vie.

À travers son désir de justice, sa fougue, son amour et son souhait d’enfin trouver la paix, Lysis constate qu’elle se bat contre quelque chose de bien plus grand qu’elle: une société dans laquelle les femmes sortent très rarement gagnantes.