«Les murailles» au Théâtre La Licorne: sur les traces d'un père, quelque part dans le Grand Nord – Bible urbaine

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«Les murailles» au Théâtre La Licorne: sur les traces d’un père, quelque part dans le Grand Nord

«Les murailles» au Théâtre La Licorne: sur les traces d’un père, quelque part dans le Grand Nord

Une incursion poétique sur le chantier de La Romaine

Publié le 17 mars 2022 par Edith Malo

Crédit photo : Maxime Paré-Fortin

S'infiltrer dans un campement du barrage La Romaine pour écrire un recueil de poésie, tel est le pari audacieux d'Erika Soucy, dont le roman «Les murailles» vient d'être adapté au théâtre par le metteur en scène Maxime Carbonneau. La jeune poétesse de 34 ans, qui a grandi à Portneuf-sur-Mer sur la Côte-Nord, dresse ici un portrait rustre et pourtant sensible de ces ouvriers expatriés dans le Grand Nord. L'auteure et comédienne redonne la parole à ces hommes qui ont délaissé leur famille au profit de la vie de chantier. Ayant vécu elle-même les absences prolongées de son père durant son enfance, elle s'accorde ici une incursion personnelle dans un univers ponctué d'interrogations. Produite par La Messe Basse, en codiffusion avec La Manufacture, la pièce est présentée jusqu'au 2 avril.

Les murailles. Ce titre évocateur illustre bien le mur qui se dresse entre les ouvriers et leurs familles, ces travailleurs captifs d’un chantier et si retirés du monde.

Erika Soucy, avec un désir d’entrer en contact avec son père, décide de s’improviser commis de bureau pour infiltrer le chantier de La Romaine, là où il travaille. «Conçue fly in, élevée fly out», elle tentera de comprendre les motifs de ses absences récurrentes durant son enfance.

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À gauche: Marie-Ève Pelletier dans le rôle de Mme Hydro. Photo: Maxime Paré-Fortin

L’illustration d’un microcosme

C’est donc une Erika fébrile qui débarque dans un campement composé en grande partie d’hommes, à quelques rares exceptions: Mindy, la secrétaire joviale et pimpante qui l’interroge pour savoir si elle a une face de Mindy ou de Manon; Sonia, une ouvrière qui a de l’aplomb et de la répartie, et qui sait imposer le respect qu’une femme mérite dans un monde d’hommes; Ti-Cœur, une barmaid solitaire en peine d’amour; sans oublier Mme Hydro, une femme blasée au ton monotone qui dispense les formations de prévention et de sécurité au travail. La comédienne Marie-Ève Pelletier incarne avec candeur et bienveillance tous ces personnages qui nous font rire et sourire.

Du côté des hommes, certains personnages, interprétés par Philippe Cousineau et Gabriel Cloutier Tremblay, sont plus caricaturaux et davantage teintés d’humour. Je pense notamment à Josh, euphorisé par les effets de «la poudre», ou encore Martin, le jeune boss qui drague Erika sans vergogne, oubliant sa femme et ses enfants un court instant. C’est le genre de gars, d’ailleurs, qui n’est jamais sorti de son patelin.

Philippe Cousineau, de son côté, ne laisse pas sa place pour la fanfaronnade! Son personnage d’ouvrier qui prétend apprécier la poésie, alors qu’il cite des noms au hasard, est tout simplement attachant. On a peine à le croire lorsqu’il se vante d’un réveillon déjanté avec le poète Jacques Brault. Mais au fond, que sait-on de ces hommes?

De manière assez naturelle, nos préjugés à leur égard se dissipent au fil de la pièce. Et c’est possiblement parce qu’Erika Soucy parvient, à travers son texte, à dépeindre des personnages d’une grande humanité.

Une mise en scène qui gagnerait toutefois à être plus ludique

Si le décor se résume à une simple table de cafétéria sur roulettes et à des éléments de costumes distinctifs, ce sont surtout les éclairages et l’ambiance sonore qui ajoutent un aspect ludique et poétique à la pièce. Je pense notamment à ce bruit assourdissant de rochers dynamités qui se fracassent au loin.

Nous aussi, comme spectateur, on est subjugués par cette scène grandiose baignée d’une lueur bleutée et aveuglante.

Ou encore lors de ce moment complice aux côtés de son frère Ken campé par Gabriel Cloutier Tremblay où, tapis dans la pénombre, et enveloppés d’une lumière caressante et apaisante, frère et sœur se partagent un joint au milieu d’une nuit étoilée. Même sans échanger rien de très profond, cette scène est fort touchante!

Mais le moment phare de ce spectacle est sans contredit celui où Erika déclame un poème en admirant son père. Le temps se suspend carrément.

Posté fièrement sur la fameuse table de cafétéria, le père (interprété par le colosse Claude Despins), vêtu de son jacket de cuir, tournoie dans une lumière chatoyante. La pièce «Cotton Eye Joe» de Rednex (petite inside joke) s’immisce dans l’air sur un rythme plus lent que l’originale.

Le metteur en scène Maxime Carbonneau, qu’on connaît entre autres pour sa mise en scène de Siri, présentée au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui en 2017, déploie avec parcimonie ces moments de lumière et de poésie, mais il gagnerait à en ajouter davantage afin de contrer certaines longueurs. En effet, on saisit bien vite le principe de la vie de chantier, avec son quotidien monotone et redondant.

Je crois que la mise en scène gagnerait à diverger quelquefois de l’aspect réaliste et naturaliste pour mieux refléter la poésie de l’auteure.

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Erika Soucy et son père, interprété par Claude Despins. Photo: Maxime Paré-Fortin

Un régionalisme poétique

L’accent de la Côte-Nord ajoute un charme régional: on y est bel et bien transportés! D’ailleurs, on ne verrait personne d’autre interpréter le rôle d’Erika qu’elle-même, avec son naturel désarmant. Ses expressions sont un pur délice! Saviez-vous qu’un «chouenneux», c’est un «radoteux»?

En somme, Erika Soucy parvient à extirper la sensibilité de ces hommes de chantier, surtout de celui dont elle n’en attendait pas tant, son père. Parce qu’au final, à travers ce défilé de personnages colorés et pleins d’humour, le véritable enjeu était celui d’apprendre à connaître son patriarche. Si les apparitions de Claude Despins sont plutôt brèves, ce sont ces quelques moments avec sa fille qui m’ont le plus touchée.

On reconnait en lui nos propres pères orgueilleux qui ne savent pas verbaliser leurs sentiments. Ces hommes élevés à la dure qui ont grandi à une autre époque.

Sous la carapace de ce colosse, derrière ses non-dits et sa maladresse, se cache un amour indéfectible pour sa fille. Et nous, on ressort du théâtre sereins devant ce moment de contemplation et de réconciliation.

La pièce «Les murailles» en images

Par Maxime Paré-Fortin

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    Marie-Ève Pelletier dans le rôle de Madame Hydro
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